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Tant que cet usage subsistera, on doit l’étudier & s’y conformer.

Un objet moins frivole est la connoissance & l’observation exacte des titres & qualifications que les souverains se donnent les uns aux autres, & qui sont presque toujours fondés sur des traités & des conventions. Chaque cour, chaque puissance a une étiquette qu’elle suit à cet égard, & dont les commis ou secrétaires du département des affaires étrangères ne doivent jamais se départir. Il faut déposer aux archives un recueil de formulaires pour ces sortes de titres, & s’il est possible, y ajouter les mots du traité ou de la convention qui en fait une loi. Il est des cours qui n’acceptent des lettres, mémoires, &c. que lorsqu’ils sont écrits en certaine langue. Tout cela ne doit être ni ignoré, ni négligé par ceux qui travaillent aux affaires ; & nous traiterons de tous ces points du cérémonial, sous les titres qui leur sont propres. Voyez les articles Homme d’état, Négociateur, Politique, &c.

AFFRANCHIS, ESCLAVES AFFRANCHIS. Le Dictionnaire de Jurisprudence traite 1o. de l’affranchissement suivant le droit romain, dont nous suivons presque toutes les règles. 2o. Il expose ce que les édits de 1685 & de 1724 ont introduit dans nos usages. 3o. Il examine l’affranchissement des gens de main-morte suivant la nature du droit féodal. Nous allons considérer ce mot sous un autre point de vue, & établir quelques principes politiques sur les affranchiffemens tirés de Montesquieu. Dans l’article suivant on examinera l’affranchissement en lui-même, & sous un rapport plus général.

On sent bien que, quand dans le gouvernement républicain on a beaucoup d’esclaves, il faut en affranchir beaucoup. Le mal est que, si on a trop d’esclaves, ils ne peuvent être contenus ; si l’on a trop d’affranchis, ils ne peuvent pas vivre, & ils deviennent à charge à la république ; outre que celle-ci peut être également en danger de la part d’un trop-grand nombre d’affranchis & de la part d’un trop grand nombre d’esclaves. Il faut donc que les loix aient l’œil sur ces deux inconvéniens.

Les diverses loix & les senatus-consultes qu’on fit à Rome pour & contre les esclaves, tantôt pour gêner, tantôt pour faciliter les affranchissemens, font bien voir l’embarras où l’on se trouva à cet égard : il y eut même des temps où l’on n’osa pas faire de loix. Lorsque sous Néron[1] on demanda au sénat qu’il fût permis aux patrons de remettre en servitude les affranchis ingrats, l’empereur écrivit qu’il falloit juger les affaires particulières, & ne rien statuer de général.

Je ne saurais guère dire quels sont les réglemens qu’une bonne république doit faire là-dessus ; cela dépend trop des circonstances. Voici quelques réflexions.

Il ne faut pas faire tout-à-coup & par une loi générale un nombre considérable d’affranchissemens. On sait que chez les Volsiniens[2], les affranchis devenus maîtres des suffrages, firent une abominable loi, qui leur donnoit le droit de coucher les premiers avec les filles qui se marioient à des ingénus.

Il y a diverses manières d’introduire insensiblement de nouveaux citoyens dans la république. Les loix peuvent favoriser le pécule, & mettre les esclaves en état d’acheter leur liberté ; elles peuvent donner un terme à la servitude, comme celles de Moïse, qui avoient borné à six ans celle des esclaves Hébreux[3]. Il est aisé d’affranchir toutes les années un certain nombre d’esclaves, parmi ceux qui, par leur âge, leur santé, leur industrie, auront le moyen de vivre. On peut même guérir le mal dans sa racine : comme le grand nombre d’esclaves est lié aux divers emplois qu’on leur donne ; transporter aux ingénus une partie de ces emplois, par exemple, le commerce ou la navigation, c’est diminuer le nombre des esclaves.

Lorsqu’il y a beaucoup d’affranchis, il faut que les loix civiles fixent ce qu’ils doivent à leur patron, ou que le contrat d’affranchissement fixe ces devoirs pour elles.

On sent que leur condition doit être plus favorisée dans l’état civil que dans l’état politique, parce que dans le gouvernement même populaire, la puissance ne doit point tomber entre les mains du bas peuple.

À Rome, où il y avoit tant d’affranchis, les loix politiques furent admirables à leur égard. On leur donna peu, & on ne les exclut presque de rien ; ils eurent bien quelque part à la législation, mais ils n’influoient presque point dans les résolutions qu’on pouvoit prendre. Ils pouvoient avoir part aux chartes & au sacerdoce même[4], mais ce privilége étoit en quelque façon rendu vain par les désavantages qu’ils avoient dans les élections. Ils avoient droit d’entrer dans la milice ; mais pour être soldat, il falloit un certain cens. Rien n’empêchoit les affranchis[5] de s’unir par mariage avec les familles ingénues ; mais il ne leur étoit pas permis de s’allier avec celles des sénateurs. Enfin leurs enfans étoient ingénus, quoiqu’ils ne le fussent pas eux-mêmes.

  1. Tacite, annal. liv. xiii
  2. Supplément de Freinshemius, deuxième décade, liv. V.
  3. Exode, chap. XXI
  4. Tacite, annal. liv. III.
  5. Harangue d’Auguste, dans Dion, liv. LVI.