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Dans le gouvernement de plusieurs, il est souvent utile que la condition des affranchis soit peu au-dessous de celle des ingénus, & que les loix travaillent à leur ôter le dégoût de leur condition. Mais dans le gouvernement d’un seul, lorsque le luxe & le pouvoir arbitraire règnent, on n’a rien à faire à cet égard. Les affranchis se trouvent presque toujours au-dessus des hommes libres : ils dominent à la cour du prince & dans les palais des grands ; & comme ils ont étudié les foiblesses de leur maître, & non pas ses vertus, ils le font règner, non pas par ses vertus, mais par ses foiblesses. Tels étoient à Rome les affranchis du temps des empereurs.

Lorsque les principaux esclaves sont eunuques, quelque privilége qu’on leur accorde, on ne peut guère les regarder comme des affranchis. Car comme ils ne peuvent avoir de famille, ils sont par leur nature attachés à une famille ; & ce n’est que par une espèce de fiction qu’on peut les considérer comme citoyens.

Cependant il y a des pays où on leur donne toutes les magistratures : « Au Tonquin[1], dit Dampierre[2], tous les mandarins civils & militaires sont eunuques ». Ils n’ont point de famille ; & quoiqu’ils soient naturellement avares, le maître ou le prince profitent à la fin de leur avarice même. Esprit des Loix, tom. 2, pag. 89, édit. in-12. Voyez l’article suivant & les articles Esclavage & Servitude.

AFFRANCHISSEMENT, s. m. Action d’affranchir, de rendre libre, ce qui étoit dans la servitude, dans la gêne, se dit des personnes & des choses.

Affranchir un homme, c’est lui rendre son droit primitif à la liberté, c’est lui redonner la propriété de son individu, dont il avoit perdu le libre usage en entrant dans la dépendance d’un autre homme, c’est enfin le dégager de ses liens pour le faire passer à l’exercice de ses facultés, afin qu’il en use désormais à son gré & à son profit sous l’autorité des loix.

Affranchir une denrée, une marchandise, c’est décharger cette denrée ou marchandise des différens droits qui en gênoient le produit, la fabrication ou le transport ; c’est la délivrer des entraves des inspections, des douanes, des exclusions que les vrais principes & la législation du commerce prohibent.

Si la servitude est un attentat contre le premier droit de l’homme, qu’elle tend à détruire & prétend anéantir ; si elle blesse également les loix divines, la politique & la raison. (Voyez les art. Esclave, Esclavage). L’affranchissement qui répare autant qu’il est possible cet attentat, est un acte qui mérite d’être loué & sur-tout imité par tout homme instruit & sensible qui est dans le cas d’en faire usage.

L’injustice la plus grande & la plus révoltante, est sans contredit celle qui abuse de la force & du pouvoir, pour enlever à un homme innocent & foible ce qu’il a de plus précieux & de plus cher. Or, que peut-il avoir de plus cher, que ce qui constitue une partie de son essence, que les droits inhérens à l’humanité ? En lui ravissant la propriété de sa personne, on le prive des droits essentiels à son bien-être, on le rabaisse à la condition des brutes : au contraire on lui restitue sa qualité d’homme en l’affranchissant, on le crée pour ainsi dire une seconde fois pour la vie & pour le bonheur.

Mais ne nous bornons pas ici à considérer l’homme pris individuellement, ne nous arrêtons pas à l’esclavage personnel, tandis que la servitude étend ses entraves dans le monde, pénétre dans les sociétés, gagne toutes les institutions, & qu’il y a par-tout tant à faire pour y répandre les heureux effets de l’affranchissement.

On peut dire que la liberté est la santé de tout corps civil & politique, dont la servitude est la maladie, & que l’affranchissement est le remede ; mais de quelque maniere qu’on envisage la servitude, soit domestique, soit réelle soit politique, & sous quelque forme & dénomination qu’elle paroisse, on ne pourra s’empêcher de convenir qu’elle est toujours infiniment funeste. En effet on voit que sa pernicieuse influence se fait également sentir au physique & au moral. Au physique elle pervertit la nature, abâtardit les animaux & dégrade l’homme ; au moral elle offusque & ternit l’esprit, énerve le cœur & abaisse l’ame ; en un mot la servitude est le plus grand fléau de la société ; & l’affranchissement qui peut l’en délivrer, est un remède très-désirable.

Cependant, comme tout remède, quelque bon, quelque bien employé qu’il soit, en attaquant la maladie, n’en repare pas toujours les ravages ; de même l’affranchissement en repoussant l’esclavage, en dénouant les liens où gémit le commerce, rend difficilement aux parties qui ont souffert l’énergie de la liberté, & s’il n’est administré par une main habile, les effets qu’il produira ne seront pas toujours heureux. On peut en juger par l’exemple.

Qu’une telle denrée soit libre, ont prononcé certains régénérateurs ; aussitôt tous les rapports, tous les liens de l’esclavage ont été ébranlés ; mais l’ensemble du filet immense qu’ils forment

  1. Cela étoit autrefois de même à la Chine. Les deux arabes mahométans qui y voyagèrent au neuvième siècle, l’eunuque, quand ils veulent parler du gouverneur d’une ville.
  2. Tom. 3, page 93.