M.
MAL, s. m. Considérations générales pouf fixer tétat de la question , f> pour développer , tant timportance de ces recherches , que la méthode quon y a suivie. La moindre attention sur l'état présent du monde visible nous découvre que toutes les choses y sont imparfaites, & qu’il y règne en apparence beaucoup de désordre. L’esprit de l'homme est foible , borné , sujet à l'erreur. Son corps est fragile, mortel & de courte durée. La raison , combattue par les passions , manque souvent de force pour se faire obéir. Au péché se joint une foule de maux qu’il n’est pas en notre pouvoir d’éviter, le chagrin , la douleur, la maladie, la mort, les orages, les pestes, lés incendies. Ajoutez à ceci l'espèce de dérangement qu’il paroît y avoir ou dans la nature, ou dans les dispensations de la providence
- 8cle
tout ensemble ne peut que former un spectacle dont la vue a quelquefois étonné les plus grands Saints, Sc toujours favorisé les préjugés de l'impie. Les epicuriens en conclurent.avec confiance, que Dieu ne prend aucune part au gouvernement de I’univers
- « car, dirent-ils,
ou il veut ôter les K. maux, & ne le peut pas ;ou il ne le veut ni ne le peut ;ou enfin il le veut & le peut-Si » c’est le premier , il est foible, ce qui ne convient pas à Dieu ; si c’est le second, il agit par envie, ce qui ne lui convient pas davantage ; si c’est le troisième , il est tout-à-la-fois x envieux & foible , & par conséquent n’est pas Dieu ; si c’est enfin le dernier, c’est la feule chose - <» qui lui convienne
- mais alors d’où viennent
les maux , & pourquoi ne les ôte-t-il pas » ? Les autres philosophes, fans aller si loin , ne laissèrent pas d’en marquer leur surprise , & parurent sur-tout extrêmement embarrassés de concilier ,la ’ sagesse & la bonté d’un Dieu, qui préside aux affaires humaines, avec l'affliction des gens de bien et la prospérité des méchans. Les poètes argumentèrent la difficulté plutôt qu’il ne la levèrent , en donnant à Jupiter deux tonneaux , l’un de maux & l’autre de biens, dans lequel il prenoit à poignée & jetoit au hasard les uns & les autres. Profitant de ces fictions , l'athée en a formé son système , & fait main basse sur l'existence d’un créateur qui prend si peu de soin de ses créatures. Dans le dessein d’éviter cet écueil, en donnant une solution satisfaisante du phénomène , on imagina de bonne heure dans l’Orient le système des deux principes, l’un bon, auteur de tout bien, & l’autre mauvais, auteur de tout mal. Ce sentiment, qui avoit été celui des Mages, bien des siècles avant le règne de Darius, fut ensuite adopté par Manès} qui en infecta l'Eglise chrétienne. Son hérésie, qui se répandit en diverses provinces , & qui s’y soutint pendant une longue suite de siècles, s’éteignit enfin ou par ses proprés absurdités , ou par les violentes persécutions qui lui furent faites, jusqu’à ce qu’un moderne se soit, de nos jours , avisé de la tirer du mépris & de l'oubli où elle avoit été long-temps condamnée-Pour la faire revivre avec honneur, M. Bayle en a donné dans son Dictionnaire une nouvelle édition revue & corrigée à sa mode. A la faveur du ridicule visible qu’il en retranche , il prétend que tout le reste y est constaté par l'expérience. Ecoutons-le parler lui-même , de peur que l'on ne nous soupçonne de lui en imposer. « L’homme seul, dit-il, ce chef-d’oeuvre de son créateur entre les choses visibles, l'homme " seul, dis-je , fournit de très-grandes objections » contre l'unité de Dieu. Voici comment : l'homme » est méchant & malheureux
- chacun lê connoît par
ce qui se passe au-dedans de lui, & par le commerce qu’il est obligé d’avoir avec son prochain. II suffit de vivre cinq ou six ans 35 pour être parfaitement convaincu de ces deux » articles. Ceux qui vivent beaucoup, & qui sont " fort engagés dans les affaires, le connoissent " encore plus clairement. Les voyages font des "leçons perpétuelles là-dessus ; ils font voir partout les monumens duj malheur & de la méchanceté de l'homme
- par-tout des prisons &
des hôpitaux, par-tout des gibets 8c des mendians. ... L’histoire n’est, à proprement parler , " qu’un recueil des crimes Sc des infortunes du » genre humain. Mais remarquons que ces deux " maux, l’un moral 8c l’autre physique, n’oc- » cupent pas toute l'histoire ni toute l'expérience " des particuliers
- on trouve
par-tout 8c du bien » moral Sc du bien physique, quelques exemples n de vertu , quelques exemples de bonheur, & » c’est ce qui fait la difficulté ; car s’il n’y avoit « que des méchans tk des malheureux, il ne faudroit pas recourir à l'hypothèse des deux principes ; c’est le mélange du bonheur tkdela " vertu avec la misère Sc avec le vice qui demande « cette hypothèse ; c’est-là que se trouve le fort " de la secte de Zoroastre... » Si l'homme est l’ouvrage d’un seul principe souverainement bon , souverainement saint , » souverainement puissant, peut-il être exposé aux » maladies, au froid, au chaud, à la faim, à " la soif, à la douleur, au chagrin ? Peut-il avoir » tant de mauvaises inclinations
? Peut-il
commettre tant de crimes ? La souveraine sainteté » peut-elle produire Une créature criminelle ? La » souveraine bonté peut-elle produire une créature malheureuse ? La souveraine puissance S