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différence entre une difficulté qui naît de la perception d’une disconvenance réelle entre des idées parfaites, & une difficulté qui résulte de la perception de la disconvenance des idées imparfaites ; je réponds que cette distinction est vaine & sans fondement, & que quand même elle seroit fondée en raison, il n’en pourroit tirer aucun avantage, comme on peut s’en convaincre en considérant ce qu’on entend par des idées parfaites & par des idées imparfaites. Écoutons un grand maître en fait de raison.

« J’appelle idées complettes ou parfaites celles qui représentent parfaitement les originaux d’où l’esprit suppose qu’elles ont tirées… Par exemple, comme nos idées complexes des modes sont des assemblages volontaires d’idées simples que l’esprit joint ensemble, sans avoir égard à certains archétypes ou modèles réels & actuellement existans, elles sont complettes & ne peuvent être autrement ; parce que n’étant pas regardées comme des copies de choses réellement existantes, mais comme des archétypes que l’esprit forme pour s’en servir à ranger les choses sous certaines dénominations, rien ne sauroit leur manquer, puisque chacune renferme telle combinaison d’idées que l’esprit a voulu lui donner, & par conséquent telle perfection qu’il a eu dessein de lui donner ; de sorte qu’il en est satisfait & n’y peut rien trouver à redire ».

Les idées incomplettes sont celles qui ne représentent qu’une partie des originaux auxquels elles se rapportent. Si, par exemple, je ne comprends dans l’idée de l’or que sa couleur & son poids, cette idée ne représente point entièrement son archétype ou original ; elle n’en représente qu’une partie, elle est imparfaite ou incomplette. Il en est probable que toutes nos idées qui se rapportent à des êtres réels, sont incomplettes, parce que nous ne pouvons jamais être sûrs de rassembler dans l’idée que nous avons d’un être quelconque, tout ce que contient son essence, toutes ses propriétés & affections & il est comme impossible qu’il ne nous en échappe quelque chose.

Voilà, si je ne me trompe, tout ce qui peut servir de fondement à la distinction des idées complettes & idées incomplettes. Je sais que M. Locke prétend que nos idées simples sont complettes. Mais je ne vois pas sur quel principe il le prétend : car s’il est vrai que nos idées simples soient complettes, toute distinction à cet égard est nulle, & il n’y a plus d’idées incomplettes. » Toutes nos idées simples sont complettes, dit-il, parce que n’étant autre chose que des effets de certaines puissances que Dieu a mises dans les choses pour produire telles & telles sensations en nous, elles ne peuvent qu’être conformes & correspondre entièrement à ces puissances. » S’il est ainsi, toute idée est complette dès qu’elle est exacte & employée judicieusement, car nous ne devons employer un mot que pour désigner ce que nous avons dans l’esprit, c’est-à-dire autant que l’idée que nous y attachons correspond à l’original auquel elle se rapporte. Si, dans l’idée que j’ai de l’homme, je comprends une substance solide, la vie, le sentiment, le mouvement spontané & la faculté de raisonner ; il est évident que tout cela convient à l’homme, & correspond aussi parfaitement au sujet ou archétype que j’ai en vue, quoiqu’il y soit très-incomplettement représenté, que l’idée de quelque puissance ou propriété que ce soit. Les idées simples ne peuvent pas être précisément les mêmes dans différentes personnes, à cause de la variété des organes des sens. Elles doivent donc être incomplettes dans presque tous, sinon dans tous les hommes, si on les considère comme des effets de la puissance ou faculté qui les produit, quoiqu’elles soient complettes en tant qu’elles répondent entièrement à cette puissance naturelle. Or, si toutes nos idées considérées comme des copies des êtres réellement existans, sont imparfaites & incomplettes, & si par rapport à ces êtres il n’y a point d’autre critère de vérité que la perception de la convenance ou de la disconvenance des idées, alors M. Clarke ne peut, sans renoncer à tous les principes de nos connoissances relativement aux êtres réels, mettre aucune distinction entre les difficultés qui naissent de la perception de la disconvenance des idées imparfaites, & les difficultés qui résultent de la perception de la disconvenance des idées parfaites ou complettes. Si donc il convient que les difficultés de la première espèce, celles qui naissent de la perception de la disconvenance réelle des idées incomplettes, sont des absurdités & des contradictions, il renonce à sa distinction. Il n’a donc que deux partis à prendre, ou de contredire tous les principes de la science relativement aux êtres réellement existans, ou de convenir qu’il n’y a aucune différence entre les difficultés qui naissent de la perception de la disconvenance des idées complettes, & les difficultés qui résultent de la disconvenance des idées incomplettes.

2o. Mais pour faire mieux voir la solidité des principes de nos connoissances, & combien la distinction de M. Clarke est vaine, j’observe que, quoique nous ne puissions jamais nous assurer d’avoir des idées complettes de quoi que ce soit, cependant nous sommes fondés à croire que nos idées, toutes incomplettes qu’elles sont, correspondent néanmoins à la réalité des choses, comme des idées complettes pourroient correspondre à leurs archétypes. On peut donc comparer ensemble des idées incomplettes, & cette comparaison peut produire des jugemens aussi sûrs