Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p2, C-COU.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle est un mode du mouvement ou de quelque propriété inconnue ? Je réponds que je ne prétends point décider. C’est un secret impénétrable pour moi comme pour les autres. Je me contenterai donc de joindre ici deux courtes observations.

Première observation. M. Clarke reconnoît que la matière ou les organes corporels agissent sur l’ame. La matière ne peut pourtant pas agir sur un être immatériel en le modelant, parce qu’il ne peut pas y avoir de point de contact entre un être immatériel & une substance matérielle. Il y a donc dans la matière, suivant les principes même de M. Clarke, une certaine propriété qui nous est inconnue & dont nous n’avons point d’idée. Cette propriété inconnue de la matière ne peut elle pas comprendre sous elle la pensée & ses modes, comme la figure comprend la rondeur, le carré, &c. ou comme le mouvement comprend les différentes espèces de mouvemens & leurs modes ?

Seconde observation. Bien des gens ont de la peine à concevoir comment, par un simple choix de l’entendement, nous remuons la main droite qui étoit en repos, & faisons cesser le mouvement de la main gauche, & comment par une autre volonté nous remuons celle-ci & mettons l’autre en repos ; de sorte que nous remuons nos membres au gré de notre volonté. Cette difficulté disparoît en supposant que la pensée est un mode du mouvement, ou de la matière mue d’une certaine façon. Alors il est aussi aisé de concevoir comment la pensée produit ces mouvemens de nos membres, que de comprendre comment le ressort d’une montre fait marcher l’aiguille sur le cadran.

Venons aux raisons alléguées par M. Clarke, qui le portent à croire que la pensée ne peut pas être un mode du mouvement.

1o. Voici sa première raison : « Tous les modes du mouvement ne sont que des mouvemens particuliers, & l’idée que nous pouvons en avoir ne contient rien qui ne se rapporte au mouvement… Or j’ai une perception claire & distincte que le sentiment intérieur contient quelque chose de plus que du mouvement, comme je vois clairement qu’il contient autre chose que de la figure… Donc je suis aussi intuitivement sûr que la pensée ne peut pas être un mode du mouvement que je suis certain qu’une chose n’en est pas une autre quand je perçois clairement que l’idée de la première est absolument différente de l’idée de la seconde ».

Sur quoi fondé M. Clarke prétend-il avoir une perception claire & distincte que le sentiment intérieur contient quelque chose de plus que du mouvement ? Connoît-il tous les modes du mouvement ? Nous avons une idée abstraite du mouvement qui doit comprendre, & qui comprend en effet tous les modes du mouvement qui existent ou peuvent exister. Mais cette idée ne nous représente point tous les modes du mouvement qui existent, & encore moins tous ceux qui peuvent exister : car l’idée abstraite du genre ne comprend toutes les espèces, que d’une manière abstraite & non représentative. Nous avons des idées des modes les plus simples du mouvement, comme du mouvement en ligne droite ou du mouvement circulaire. Mais lorsque le mouvement devient plus complexe, tel que le mouvement végétatif d’un arbre, ou le mouvcment organique qui fait vivre & sentir l’animal ; alors nous n’en avons point une perception distincte. Tout ce que nous en savons c’est que ce sont des modes du mouvement dont l’idée ne peut rien contenir qui n’ait rapport au mouvement, comme s’exprime M. Clarke ; qu’ils sont successifs, qu’ils ont des parties, qu’ils peuvent être variés de plusieurs manières.

Si nous comparons à-présent ce que nous connoissons de plus certain touchant la pensée, à un mode quelconque du mouvement, il ne sera pas difficile de reconnoître que la pensée est produite dans nous par l’action de la matière, comme toute espèce de mouvement, qu’elle est modifiée par le mouvement des organes, qu’elle produit à son tour des mouvemens distincts d’elle-même ; qu’elle est successive, qu’elle a des parties, & qu’elle est susceptible d’une infinité de modes. Puis donc que nous ne pouvons avoir aucune notion ou perception de la pensée sans y faire entrer le mouvement, & que d’ailleurs nous n’avons point d’idées distinctes des modes les plus compliqués du mouvement qui existent, il est impossible à M. Clarke de prouver que la pensée n’est point un mode très-composé du mouvement. Ainsi jusqu’à ce qu’il ait une idée plus distincte de la nature de la pensée que celle que je viens d’en donner, & une idée plus distincte du mouvement complexe des esprits animaux en quoi consiste la vie & le sentiment, il ne sera pas plus capable de savoir si la pensée n’est point un mouvement animal, que de juger de la convenance ou de la disconvenance de deux choses dont il n’a point d’idée distincte. On peut bien assurer qu’une roue en mouvement ne pense point, ou que la pensée ne consiste pas dans un mouvement de rotation, parce que nous ne voyons aucun des effets de la pensée résulter du mouvement de rotation. Je ne doute pas néanmoins que si la pensée résultoit d’un mouvement circulaire comme elle résulte du mouvement complexe particulier au corps de l’homme, M. Clarke n’eût recours encore à l’hypothèse d’un être immatériel, & qu’il ne donnât à chaque roue une substance immatérielle pour produire le mouvement circulaire & par lui la pensée. Mais