Page:Encyclopédie méthodique - Physique, T1.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
186
ANI

ment, un des plus utiles que la phyſique ait inventés, nous a découvert des mondes nouveaux. Dans une goutte de liqueur, on obſerve des millions de petits animaux qui diffèrent entr’eux ſelon la nature des ſubſtances, principalement des végétaux qu’on y a fait macérer & infuſer.

Dans le vinaigre, on apperçoit ſur-tout en été un grand nombre de petites anguilles, qui ſe multiplient & groſſiſſent en peu de temps juſqu’à un certain point. Ces animaux en qui on diſtingue très bien une tête, une bouche, une queue &c. ſont d’une vivacité extraordinaire, elles font mille ondulations, & elles ſe meuvent même avec tant de viteſſe, que s’il y a trop de liquide placé ſur le porte-objet du microſcope, on eſt obligé d’attendre pour bien obſerver, qu’une bonne partie de la liqueur ſe ſoit évaporée, afin que leur mouvement ſoit conſidérablement rallenti pour appercevoir, par exemple, leur bouche.

Ces animaux paſſent avec le vinaigre même au travers d’un tamis aſſez fin, mais non au travers d’un papier brouillard ; ils périſſent ſi on fait chauffer cette liqueur même ſans la faire bouillir, ou ſi on l’expoſe pendant quelques heures au soleil. On ne trouvera point de ces animaux dans un vinaigre qui a toujours été dans une bouteille bien bouchée.

Lorſqu’on a fait infuſer à froid des grains de poivre noir dans de l’eau ordinaire, on y apperçoit de même, au bout de quelques jours, une multitude étonnante de petits animalcules bien différens de ceux du vinaigre ; leur figure eſt ovale, & leurs mouvemens ſont néanmoins très-rapides. Il y en a qui, après avoir parcouru une ligne droite, tournent ſi vîte autour d’un point près de leur tête, ou ſur leur centre de figure, que d’ovales ils ſemblent devenir circulaires, après quoi ils s’élancent à une certaine diſtance avec une promptitude extrême. Il y en a qui ont la tête hupée ou plutôt garnie de poils.

Dans une infuſion de poivre long, on découvre des animaux différens ; ils peuvent ſoutenir les plus grands froids, & ſe conſervent même en vie au-deſſous d’une glace d’environ deux lignes d’épaiſſeur.

Le ſéné, infuſé à froid, préſente des petits vers blancs, dans le corps desquels on diſtingue de petits anneaux, & de grandes diversités.

Des infuſions d’œillets, de roſes, de jaſmins, de bluets & de différentes autres eſpèces de fleurs ; des infuſions d’écorce, de feuilles, &c, de toutes ſortes de plantes, offrent des diverſités ſingulières dans les figures des animalcules : elles varient encore plus, lorſque les infuſions ſont compoſées de plantes de différens genres ou eſpèces ; le foin & la paille infuſés préſentent cinq ou ſix ſortes d’animaux vivans, différens en couleur, en groſſeur, en figure ; en mouvemens ; & on peut ajouter que dans la plupart des autres infuſions, on ne trouve pas de plus gros animaux, de plus transparens & de plus nets, ni qui durent plus long-temps que ceux-ci.

L’eau qui eſt renfermée dans les écailles des huitres, au bout de trois ou quatre jours, offre à la vue une aſſez grande quantité de petites huitres, belles, tranſparentes, dans lesquelles on diſtingue très-bien la tête & le reſte du corps. La forme de leur corps eſt changeante ; on les voit ſe plier & ſe replier en différentes manières. Leur mouvement eſt quelquefois direct, & d’autres fois circulaire : on les apperçoit ſouvent s’entre-choquer, & par là interrompre leur courſe. Ceux qui ſeront curieux de connoître plus en détail les obſervations précédentes, pourront conſulter l’ouvrage de Joblot, imprimé à Paris en 1718.

Pluſieurs obſervateurs, entr’autres, Linné, Buffon, Needham, ont prétendu que les corpuſcules en mouvement, qu’on remarque dans différentes infuſions, n’étoient pas des animalcules. Le premier de ces ſavans lui même, qui, ſans balancer, plaçoit au rang des animaux l’éponge, dont l’animalité eſt ſi incertaine, doute ſi les animalcules d’infuſion ſont des corps vivans, pourvus d’organes, ou quelques petites portions de sel & d’huile. Au jugement de ce grand naturaliſte, on peut oppoſer celui des obſervateurs les plus exercés & les plus exacts, de Joblot, Baker, Trembley, Reaumur, Roëſel, Ledermüller, Bonnet, Wrisberg, Pallas, Munchauſen, Goëze, Wagler, Roffredi, Téréchowsky, Hermann, &c. Ils ont observé cent & cent fois, dans ces petits corpuſcules, un mouvement ſpontané dans toutes les directions, accéléré ou rallenti à volonté, différent dans les diverſes eſpèces ; la faculté de ſe tourner de tous les côtés, de ſe tenir en repos, de ſe mouvoir de nouveau, d’éviter les objets qui ſe préſentent, de ſentir ceux qui leur nuiſent, & de s’en tenir éloignés, ils y ont vu le mouvement des organes intérieurs & extérieurs, celui du cœur & des inteſtins, l’expulſion des excrémens manifeſtée dans quelques eſpèces, l’accroiſſement, le changement dans la ſituation reſpective des parties, une fuite précipitée vers les reſtes de la goute de liqueurs qui s’évapore, une ſollicitude inquiète à ſaiſir ce dernier refuge d’une vie momentanée, le mouvement des organes qui aſpirent l’eau, plus accéléré dans ces derniers inſtans, languiſſant & enfin nul au moment de la mort. Ajoutons la copulation à peine douteuſe dans un petit nombre, & obſervée avec certitude dans quelques-uns par M. Fabricius[1]. D’après toutes ces obſervations, il n’eſt certainement plus poſſible de révoquer en doute l’animalité de ces êtres, & de ne pas admettre l’exiſtence des animalcules des infuſions.

  1. Nov. act. ſociet. ſcient. Haſn. Dœnice. tom. II, pag. 240, 246.