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M. Bergman ſe diſtingua donc d’abord comme phyſicien, naturaliſte & géomètre ; mais ce ne ſont pas là les véritables titres de ſa gloire. Après avoir été diſciple de Linnée, il devint lui-même le chef d’une école fameuſe ; & il faut décrire cette révolution ſi remarquable dans ſon hiſtoire, comme dans celle des ſciences, & qui paroît avoir été l’ouvrage de quelques inſtans.

La chaire de chymie & de minéralogie que rempliſſoit le célèbre Wallerius, ſe trouvant vacante par ſa retraite, M. Bergman ſe mit au nombre des concurrens, & ſans avoir juſqu’alors annoncé aucun travail en chymie, il publia ſur la préparation de l’alun, un ſavant mémoire qui n’étonna pas moins ſes partiſans que ſes détracteurs. Sa diſſertation fut vivement attaquée dans les journaux, & M. Wallerius lui-même, le critiqua ſans aucun ménagement ; mais au milieu de tant d’ennemis, il lui reſtoit un ſoutien aſſuré. Le prince Guſtave, roi de Suède (mort en mars 1792), & alors chancelier de l’univerſité, prit connoiſſance de l’affaire. Après avoir conſulté les deux hommes les plus propres à l’éclairer, & dont le témoignage fut en faveur de M. Bergman ; il rédigea un mémoire en réponſe à tous les griefs allégués contre lui, & il l’envoya écrit de ſa propre main au comité de l’univerſité, & au ſénat, qui confirma le vœu de ſon alteſſe royale, & le nomma, en 1767, profeſſeur de chimie. M. Bergman avoit à remplir de grandes eſpérances conçues & données par le prince Gustave, à juſtifier le ſuffrage de Swab, à remplacer M. Wallerius, & faire taire l’envie.

M. Bergman ne ſuivit point la marche ordinaire dans l’étude de la Chimie. Comme il n’avoit reçu les leçons d’aucun maître, il n’étoit imbu des préjugés d’aucune école. Accoutumé à la préciſion, & n’ayant point de temps à perdre, il recueillit toutes les expériences ſans faire aucune attention aux théories ; il répéta pluſieurs fois dans ſon laboratoire celles qu’il regardoit comme importantes & capitales ; il y mit un ordre juſqu’alors inconnu ; il procéda par l’analyſe à la manière des géomètres, qu’il a le premier introduite dans la Chimie, & que l’on devroit appliquer à tout ; car il ne doit y avoir qu’une seule méthode d’enſeigner & d’apprendre, comme il n’y en a qu’une de bien juger. Ces vues ſont conſignées dans un diſcours de M. Bergman. Un de ſes eſſais les plus importans fut celui d’imiter les eaux minérales ; il découvrit pluſieurs acides inconnus avant lui, tels que ceux du ſucre, de la manganèſe & du ſpath peſant ; on a de lui un grand nombre d’expériences ſur la manière d’eſſayer les minéraux par la voie humide, & un travail conſidérable ſur les affinités & les attractions chimiques, qui a exigé plus de trente mille épreuves. On peut voir ſes Opuscula Phyſica & Chemica.

On n’avoit pas encore analyſé les produits des volcans dont MM. Ferbett & Troil rapportèrent en Suède de riches collections. À cette vue, M. Bergman conçut le projet d’en approfondir la nature. Il conſidéra d’abord les matières les moins altérées par le feu, & dont les formes étoient encore reconnoiſſables ; il ſuivit progreſſivement leurs changemens ; il détermina, il imita leurs dégénéreſcences ; il connut que leurs effets devoient réſulter du mélange & de la décompoſition de ſubſtances ſalines qui ſe trouvoient abondamment dans ces produits ; il apperçut quels étoient ceux qui ſe formoient par la voie humide ; & alors, de ſon laboratoire, il obſerva celui de la nature ; ce combat de flammes & d’exploſions, ce cahos où les élémens ſe heurtent & ſemblent ſe confondre, ſe dévoilèrent à ſes yeux ; il vit le feu des volcans allumé au milieu des combinaiſons pyriteuſes, le ſel marin décompoſé par les argiles, l’air fixe dégagé des pierres calcaires calcinées, s’épancher ſur la ſurface de la terre, & remplir ces grottes où la flamme & la vie ſont également éteintes ; il vit l’acide ſulphureux vomi par flots, ſe convertir en acide vitriolique au ſeul contact de l’air, diſtiller au travers des rochers, & former les alunières de la ſolfatare ; il vit les bitumes couler, l’air inflammable, l’air hépatique ſe répandre, & les eaux devenues minérales, pénétrées de feu & de vapeurs, de ces vaſtes fournaiſes, offrir aux hommes qui ſe meuvent & ſe diſputent ſur la croute de l’abîme quelque léniment à leurs douleurs.

Dans tous ſes travaux ſur la Chimie, on a vu M. Bergman, toujours appuyé ſur l’obſervation & les expériences, être très-sobre dans ſes conjectures ; mais peut-être que tant de ſévérité devenoit un fardeau qu’il falloit dépoſer quelquefois pour le reprendre avec plus de courage ; peut-être que, fatigué de ſe contraindre en ſuivant péniblement les ſentiers de la nature, ſon ame ardente avoit auſſi beſoin d’établir des lois & de créer à ſon tour ; nous allons le voir remonter dans un ouvrage hypothétique, juſqu’à l’origine des choſes, tracer la marche des grandes révolutions du globe, & devenir le rival du grand homme qui en a ſi éloquemment développé parmi nous la formation & les époques.

La plupart de ceux qui ont fait de pareilles entrepriſes, tels que Whiſton, Burnet, Woodward, Léibnitz, & M. Wallerius lui-même, ont eu beſoin de l’indulgence des lecteurs dans toute l’étendue de leur exécution. M. Bergman n’a été obligé d’y recourir que pour ſa première donnée. Qu’on admette avec lui la terre, formée dans ſon principe d’un noyau peut-être magnétique, enveloppée d’une maſſe fluide, & tous les élémens des corps ſuſpendus dans ce dissolvant ; & alors la terre s’organiſera d’elle-même ; étant molle, elle s’arrondira & ſe renflera par un effet de ſa rotation dans le ſens de l’équateur ; les matières les plus denſes & les moins ſolubles compoſeront, en ſe ſéparant, les premières