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et il ne peut donner le principe du mal qui n’est pas en lui. D’une autre créature ? Non encore ; il s’agit précisément de la première créature mauvaise. Mais celle-ci le tenait peut-être d’elle-mème ? Impossible ; car pour se donner une choseil faut avant tout la posséder. De qui doncle tient-elle ? D’un principe éternel, indépendant de Dieuet mauvaispar essence ? Les manichéens l’ont prétendu ; et tout absurde qu’il est, leur système ne parait pas aussi misérable qu’on a coutume de le dire. Quand une foisla difficulté est arrivée au point où nous venons de la pousser, il est plus aisé de concevoir comment un génie aussi profondément philosophique, aussisubtil que celui de saint Augustin pùt tomber dans cetteerreur et la défendre longtemps de la meilleure foi du monde. Maispuisque c’est une erreur, il est possible de la constater et de donner une réponse à la difficulté proposée. Quelle est-elle ? Avant de chercher cette solution, commençons par avouer qu’il est dans le vaste domaine de l’intelligence un certain nombre de questions obscures sur lesquelles on peut assurer d’avance que certains esprits se tromperont presque toujours, sur lesquelles du moins ils n’arriveront que bien difficilementà une solution rationnelle satisfaisante. Ces questions sont celles que la raison ne peut éclaircir et résoudre que par la combinaison logique de plusieurs principes, ou vérités évidentes subordonnées les unesaux autres, fortementliées entre elles, et embrassées toutes ensemble par un seul et ferme regard de l’intelligence qui les concentre sur un même point, pour éclairer d’une lumière plus vive la proposition à démontrer, et qui est comme la résultante nécessaire des principes évidents qui servent à l’expliquer et à l’établir. Or, tous les esprits ne sont pas capables d’un tel effort ; tous n’ont pascette calme et énergique vigueur qui s’emparede plusieurs vérités à la fois, les entasse les unes sur les autres, s’élève avec elle à une hauteur d’où il est facile d’embrasser un vaste ensemble, les combine, et, si on peut ainsi dire, les pétrit avec force, pour en former un tout homogène. Bien plus, il est peu d’hommes superficiels qui puissent comprendre ces sortes de démonstrations. Pour peu qu’ils soient enflés d’orgueil, contents d’eux-mêmes et disposés à s’adjuger un brevet de capacité philosophique, au lieu de céder à l’évidence de l’autorité ou à l’autorité de l’évidence ils affirmeront presque toujours doctoralement et d’un air infaillible, que ces vérités ne sont ni démontrées, ni démontrables. Ce que l’on a de mieux à faire avec de tels esprits c’est de garder le silence et de contenir cette colère rationnelle dont M. de Maistre a dit qu’il est bien difficile de se défendre. (Soirées de Saint-Pétersbourg ).La possibilité du mal moral est une question de ce genre ; il faut, pour la résoudre, grouper et serrer étroitement les unes avec les autres plusieurs vérités-principes, et en saisir la résultante logique et nécessaire. Ces vérités se rattachent aux trois points suivants 1° La création est possible ; 2° elle n’est possible qu’à la condition que les êtres créés sont eux-mêmesfinis ou imparfaits ; 3° Dieu, en créant, ne pouvait mieux faire, ou manifester d’une manière plus parfaite sa puissance, sa sagesse, sajustice et sa bontéqu’en donnant l’être à des créatures intelligentes douées de liberté. Il nous reste bien peu de chose à dire sur les deux premières propositions.

1° La crcatùn est possible ou bien Dieu n’est pas Dieu ; ôtez à Dieu le pouvoir de créer, de féconder le néant, vous lui ôtez la puissance infinie, vous détruisez son essence. Du reste, le fini existe, il est distinct de l’infini, il n’a pas toujours existé la.création est donc un fait trop évident pour qu’une intelligence douée d’une raison saine puisse en contester la réalité ; aussi on. n’a jamais opposé à la possibilité et à l’existence de ce fait que des systèmes absurdes, contradictoires. (( V.Création, ivepartie.) Qu’il nous-suffisede rappeler ici deux vérités importantes ; la première, que Dieu, n’a pu trouver qu’en lui-même et dans-son infinie bonté le motif qui l’a déterminé à créer ; car tout motif déterminant est une cause efficace, toute cause efficace ou réelle domine son effet, au moins sous quelque rapport, et la volonté divine ne peut être dominée par rien, parce que rien ne lui est supérieur sous aucun rapport ;. elle ne peut donc être déterminée que par elle-mème,par sa bonté, qui est portée par sa nature même à communiquer l’ètue ou le bien, c’est-à -dire, à créer. C’est le raisonnement de saint Augustinet de saint Thomas. « Qui qurcrit quare Deus mundum voluerit facere, causam quœrit voluntatis Dei. Sed omnis causa effiçiens est ; omne autem efficieusmajus est quam id quod efficitur. Nihilautem majus est voluntate Dci non ergo ejus causa quœrendaest. (De civit. Dei et ailleurs De Genes. cont. Manich., 1. I, c. 2. S . Thom. Sam., p. 1, q. 19, art. 2 et seq.) Première vérité La bonté divine seule est le principe de tout ce qui existe ; d’où il suit que tout ce qui

existe comme réalité est

bon.

Seconde vérité La bonte divine seule est aussi la fin de tout ce qui est ; c’est-à -dire que Dieu, en se déterminant à créer, crée toutes choses pour être lui-même leur fin dernière, leur bonheur, et leur bonheur en ce sens qu’il se donne aux divers êtres créés selon lamesure de leur capacité. (S.Thom. ibid,) Aussi tous les êtres aspirent-ils chacun à sa manière et selon sa propre nature à posséder Dieu. Tous viennent de lui, et, à ce titre, ils lui sont tous plus ou moins semblables ils tendent à lui comme à leur fin, et c’est toujours par bonté que Dieu se pose comme leur fin suprême et nécessaire « Produxit enim (Deus) res in esse propter suam boait&tem communicandam

creaturis

et per cas reprœsentandam.

(1 p., q. 47, art. t.)– Omnia appetunt Deam ut finem, appetendo quodcumque bonum, sive appctitu intelligibili, sive sensibili, sive naturali qui est sine cognitione quia nihH

habet rationem boni et appetibilis nisi secundum quod participat Dei similitudinem. (Id. ibid, q. 4i, art. 4, ad. 3me.) 11° La création n’est possible qu’à la condition que les créatures considérées en elles-mêmes et dans leur ensemble, seront finies ou imparfaites. Une créature ou un monde infinis seraient une contradiction dans les termes ; nous l’avons démontré. D’ailleurs, il n’y a et il ne peut y avoir qu’un seul être absolument infini, ou infiniment parfait, et il implique qu’il puisse en exister plusieurs. Nous ferons seulement ici deux observations importantes, parce qu’elles répandent un grand jour sur la question qui nous occupe : 1° quoique la créature et la création soient nécessairement limitées, imparfaites, elles sont ou peuvent être indéfiniment perfectibles, en ce sens que Dieu peut produire une série d’êtres sans nombre qui participent à des degrés divers de ressemblance, des êtres, par conséquent, plus ou moins parfaits, selonqu’ils retracent plus ou moins complètement en eux-mêmes les perfections infinies de Dieu et en ce sens, que toute créature aspirant à l’union avec Dieu, qui est sa fin, son bien, son achèvement, sa perfection, cette union quand il s’agit de créatures intelligentes, peutseresserrer indéfiniment. 2" L’imperfection des créatures n’est pas, à proprement parler imputable à Dieu, sinon en ce sens qu’étant le principe de leur perfection essentiellement limitée, il ne peut les produire sans cette limitation. Leibniz explique très clairement l’origine de cette limitation ou la cause du mal métaphysique : « Les an-

ciens, dit-il, attribuaient la cause du mal à la matière, qu’ils croyaient incréée et indépendante de Dieu ; mais nous qui dérivons tout ètre de Dieu, où trouverons-nous la source du mal ? La réponse est qu’elle doit être cherchée dans la nature idéale de la créature, autant que cette nature est renfermée dans les vérités éternelles qui sont dans l’entendement do Dieu, indépendamment de sa volonté. Car il faut considérer qu’il y a une imperfection originale dans la créature avant le péché, parceque la créature est limitée essentiellement ; d’où vient qu’elle ne saurait tout savoir, et qu’elle se peut tromper et faire d’autres fautes. Platon a dit dans le Tiinée que le monde avait son origine de l’entendement joint a la nécessité. D’autres ont joint Dieu et la nature. On y peut donner un bon sens. Dieu sera l’entendement

et la nécessité,

c’est-à -dire la nature essentielle des choses, sera l’objet de l’entendement, en tant qu’il consiste dans les vérités éternelles. Mais cet objet est interne, et se trouve dans l’entendement divin. Et c’est là dedans que se trouve non-seulement la forme primitive du bien, mais encore l’origine du mal (métaphysique), c’est la région, des vérités éternelles, qu’il faut mettre à la place de la matière, quand il s’agitde chercher la source des choses. Cette région est la cause idéale du mal (pour ainsi dire) aussi bien que du bien ; mais à proprement parler, le formel du mal (de l’imperfection) n’en a point d’efficiente, car il consiste dans la privation, comme nous allons voir, c’est-à-dire dans ceque la cause efficiente ne fait point. C’est pourquoi les scholastiques ontcoutume d’appeler la cause du mal déficiente.» (Théodicée,. part. I. § 20). Pour établir cette vérité, Leibniz se sert d’une comparaison aussi juste qu’ingénieuse : considérant l’inertie naturelle des corps comme une parfaite image de la limitation originale (tes créatures, il fait voir ainsi que la privation constitue le formel des imperfections qui caractérisent la substance et même les actions de la créature : « Posons, dit-il, que le courant d’unis mème rivière emporte avec soi plusieurs bateaux qui ne diffèrent entre eux que dans la charge, les uns étant chargés de bois, les autres de pierre, et les mis plus les autres moift».