Page:Envers de la guerre - tome 2-1916-1918.djvu/70

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— Les bourgeois crânent devant les restrictions, soutenus par la vanité patriotique de l’emporter, même sur ce terrain, sur les Allemands. C’est un concours de joyeux entrain : « Nous avons été à 4 heures du matin, en bande, chercher du charbon. On a bu du punch. C’était aussi amusant que d’assister à une exécution capitale. » Ou encore : « Eh bien, quoi, on mangera du riz. C’est sain. Et vive la marmite norvégienne. » Et n’oublions pas le monsieur qui n’a jamais tant reçu de marchandises d’Angleterre que depuis la guerre sous-marine à outrance…

— À voir la vie qui se rétrécit, en durée, en activité, en gaîté, en lumière, en abondance, en rapidité, à voir tout ce qu’on perd, on sent tout ce qu’on avait gagné, depuis l’âge des cavernes. Car tout ce qui disparaît, c’était justement l’acquis du progrès.

— Tristan Bernard dit qu’on croit voir des enfants qui ont déclenché une machine infernale et qui ne savent plus comment l’arrêter.

— Le 18. Romain Rolland publie une brochure : « À la civilisation » qu’on se passe de la main à la main. Le manuscrit aurait été introduit en France par Mme C… femme d’un ancien ministre.

— Un général parle à un territorial, qui se plaint d’être vieux. « Quel âge as-tu ? — 45 ans. — Eh bien, qu’est-ce que je dirais, moi qui ai 15 ans de plus ? — Oui, mon général, mais moi, j’ai travaillé. »

— Le 19, Octave Mirbeau est mort dans une demi-indifférence, comme meurent les gens notoires pendant cette guerre. D’esprit instable, il avait l’impulsion généreuse. Dans un de ses livres, il avait dit son admiration pour l’Allemagne. Et voilà le Petit Parisien qui publie son testament où il renie les tendances de toute sa vie. Les amis de Mirbeau, comme Tristan Bernard, Charles-Henri Hirsch, disent qu’il était très affaibli depuis quatre mois.