Page:Erckmann-Chatrian - Contes et romans populaires, 1867.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120
MAITRE DANIEL ROCK.

« Regarde par la meurtrière… là ! fit-elle…(Page 122.)

et dont les ombres noires se prolongeaient à gauche, dans la vallée du Haut-Barr.

Au bout d’une demi-heure d’ascension pénible, maître Daniel avait atteint la base de ces immenses remparts naturels du vieux burg ; ses gros souliers ferrés et la pointe de son pic grinçaient dans le sentier qui monte au donjon ; les décombres roulaient sous ses pieds.

Bientôt il fut au sommet du plateau désert, en face des deux hautes tours encore debout malgré les vents, les neiges et la puissance destructive des orages dans ces hautes régions.

Alors le vieillard fit halte, pour contempler une seconde ce vaste domaine de la mort.

Les débris amoncelés, les ronces, les hautes orties hérissées dans chaque fissure de la pierre ; le silence du néant après le tumulte des armes, la voix des chefs, le chant joyeux des reiters, les hymnes pieuses des moines, toutes ces choses, dont sa mémoire était pleine et qu’il voyait anéanties, serrèrent le cœur de maître Daniel :

« Luitprandt !… cria-t-il, Rupert !… Karl !… et vous tous… vous tous… nos anciens maîtres… qu’êtes-vous devenus ? »

Une chouette silencieuse fendit le ciel sombre de son zigzag rapide, et disparut dans une meurtrière.

Le vieillard, taciturne, poursuivit tristement sa marche vers la tour de Fuldrade, à l’autre extrémité du plateau. Une vague lueur rougeâtre en éclairait la porte en plein cintre.