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LE BOURGMESTRE EN BO’üTEILLE.

Quel admirable spectacle que celui des vendanges ! (Page 49.)


rend tendres comme lelacryma-christi ; enfin, par-dessus tout, il fait rêver, il déroule à nos yeux le vaste champ de la fantaisie.

En 1846, vers la fin de l’automne, je m’étais décidé à faire un pèlerinage au Johannisberg. Monté sur une pauvre haridelle aux flancs creux, j’avais disposé deux cruches de fer-blanp dans ses vastes cavités intercostales, et je voyageais à petites journées.

Quel admirable spectacle que celui des vendanges ! L’une de mes cruches était toujours vide, l’autre toujours pleine ; lorsque je quittais un coteau, il y en avait toujours un autre en perspective. Mon seul chagrin était de ne pouvoir partager ce plaisir avec un véritable appréciateur.

Un soir, à la nuit tombante, le soleil venait de disparaître, mais il lançait encore entre les larges feuilles de vigne quelques rayons égarés. J’entendis le trot d’un cheval derrière moi. J’appuyai légèrement à gauche pour lui laisser passage, et, à ma grande surprise, je reconnus mon ami Hippel, qui fit une exclamation joyeuse dès qu’il m’aperçut.

Vous connaissez Hippel, son nez charnu, sa bouche spéciale pour la dégustation, son ventre à triple étage. Il ressemblait au bon Silène poursuivant le dieu Bacchus. Nous nous embrassâmes avec transport.

Hippel voyageait dans le même but que moi : amateur distingué, il voulait fixer son opinion sur la nuance de certains coteaux, qui lui avaient toujours laissé quelques doutes. Nous poursuivîmes de compagnie.