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et de viser au relèvement des conditions inférieures jusqu’à un niveau moyen, on entama une guerre à fond contre les riches et on installa le règne des sans-culottes à quarante sous par jour, qui ne pouvait être durable. Ce fut comme un mouvement de bascule violent imprimé à la société entière. Il ne devait s’arrêter que quand la société serait sens dessus dessous et que serait réalisée la menace figurative de ces va-nu-pieds qui montaient au printemps de 1789, pendant la promenade de Longchamps, sur le marchepied des carrosses, en criant « Bientôt c’est nous qui serons dans vos carrosses et vous derrière ! »

De ce point de vue la Révolution se présente à nous comme un effort désespéré pour mettre fin instantanément à toutes les infortunes, pour faire en une fois le bonheur du peuple français et comme on disait alors de l’humanité ou du monde, en supprimant l’inégalité des conditions. Voyons ce qu’elle a tenté pour y réussir, dans quelle mesure elle y a échoué, et comment elle a trouvé elle-même sa limite dans la durée de l’illusion qui l’a provoquée.

Nous vous prions de ne pas croire que nous condamnions toutes les institutions qui figurent au programme de la Révolution ; quelques-unes élaborées au cours de ce siècle, amendées, complétées peu à peu sous la pression lente des besoins, à mesure que le temps en rendait la réalisation inoffensible et possible, ont porté d’heureux fruits dans la société française moderne. Telles sont par exemple l’idée d’une université d’Etat et d’une assistance publique. Nous n’excluons pas davantage des fins de l’Etat la recherche du bonheur, c’est-à-dire en réalité les efforts des législateurs pour rendre, par des réformes techniques mûrement étudiées, chacun autant que possible content de son sort, la mesure du possible étant ici l’intérêt de la paix sociale elle-même, et les conditions