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(avril et mai 1796). Il a trop souffert et depuis trop longtemps après avoir tant espéré, pour ne pas éprouver une déception immense. Il se prend à dire « Nous étions plus heureux avant la Révolution ! » C’est un cri général, Babeuf l’atteste, d’accord avec les rapports de police[1]. Toute association étant interdite, chacun se sent seul, en tête à tête avec la misère. Les tristes fêtes du décadi n’attirent plus personne. Quelques femmes y vont voir les mariages civils qu’on place à ce moment pour conjurer la solitude. Les fonctionnaires seuls y montrent régulièrement leur air ennuyé. Les pompes patriotiques, les cortèges savamment combinés à grands frais se déroulent devant des spectateurs indifférents. Il y a dans toutes les âmes un grand vide. « Les non-propriétaires, dit durement Saint-Simon, avaient supporté presque en totalité le poids de la famine, que les mesures extravagantes auxquelles ils s’étaient livrés avaient fait naître. Ils étaient matés. »

Même le personnel révolutionnaire est las. Les séances des sections sont de bonne heure délaissées. Les 40 sous par séance les raniment un instant, puis le vide se fait de nouveau. Les comités sont supprimés sans résistance. Les Cordeliers se sont aplatis devant la Convention victorieuse ils comptent une quinzaine d’assistants : ils déménagent avec les bustes de Marat, de Le Peletier « et autres, » pour trouver un quartier plus favorable, mais sans succès. Le redoutable club meurt de sa belle mort, parce que rien d’extrême ne dure et que les passions politiques ont leur terme comme les autres. Ainsi des Jacobins. Leur suppression ne provoque qu’une agitation superficielle. Plusieurs patriotes réussissent à se caser dans les administrations peu à peu reconstituées, qui

  1. Robespierre, dès 1793, en avait signalé la première rumeur aux Jacobins, lors du pillage des épiceries.