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I

AVANT LA RÉVOLUTION


Le village de Bobeuf, en Picardie, aurait été, d’après des traditions sans preuves, peuplé, au retour de l’émigration qui suivit la révocation de l’Edit de Nantes, par un certain nombre de calvinistes, que l’agriculture mit bientôt à l’aise. Ils voulurent, dit-on, entrer en relations avec les autres communautés protestantes et choisirent un de leurs jeunes gens auquel ils firent donner quelque instruction pour qu’il fût un jour leur ambassadeur auprès des frères lointains. C’était le père de notre Babeuf, Bobeuf dit L’Epine. Le futur missionnaire commença par être soldat au régiment de cavalerie Dauphin étranger. Puis il déserta, pour accomplir sa mission sans doute (1738). Il parcourut la Suède, la Hongrie, la Saxe et l’Autriche et se laissa entraîner à prendre du service dans les armées de Marie-Thérèse. Là, élevé au grade de major, il fut appelé à enseigner le français (et ce qu’il pouvait savoir par ailleurs) au prince qui devait être Joseph II. Bientôt il revint en France. Menacé de subir la peine de sa désertion, il fait intervenir sans doute l’ambassadeur d’Autriche, car on a des lettres royales de 1755 qui l’amnistient de ce délit et déclarent que le roi veut « pour des considérations particulières le traiter favorablement. » De fait, quand Joseph II visite la France, il se détourne de sa route pour aller voir son ancien maître le vieux major et pousse même jusqu’à Roye, pour faire à sa famille des offres de service que le futur tribun du peuple aurait repoussées