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auquel il emprunte ce nom et fait une allusion précise a une théorie du Contrat social, « ce système si connu, lequel prend sa source dans l’idée du bonheur social et consiste dans la prétention que lapopulation est la mesure… de la richesse commune[1]. » Il paraphrase longuement le Discours sur l’Inégalité. Quand son correspondant plaide en faveur de l’uniformité de législation, Babeuf ne manque pas d’observer que ce n’est là qu’un palliatif, et qu’il serait bien préférable encore « de procurer à tous les individus indistinctement, dans tous les biens et les avantages dont on peut jouir en ce bas monde, une portion absolument égale[2]. »

Mais le plus étonnant est que le pacifique correspondant de Babeuf, secrétaire perpétuel de l’aristocratique académie, échevin d’Arras, est au moins aussi socialiste que lui. Il imagine (c’est une précaution prise contre les indiscrétions possibles de la police) qu’un ouvrage en huit volumes est mis en souscription sous les titres suivants : Le changement du monde entier ou Le Réformateur du monde entier ; et spontanément, sans y être provoqué par Babeuf, il décrit d’après cet ouvrage fictif, dans tous ses détails, une Utopie communiste à laquelle rien ne manque. Chaque lettre renchérit sur la précédente. Ce n’est pas assez pour lui de donner le menu somptueux du déjeuner et du dîner, de décrire l’habillement et le logement confortables[3] des hommes heureux de sa société idéale. Il fixe le nombre des villes et des villages dont le plan est prêt et qui seront construits par la société à la place des villes et

  1. Contrat social, liv. III, ch. ix. Correspondance de Babeuf, p. 47.
  2. Correspondance, p. 190. Rousseau n’eût pas dit absolument égale.
  3. « Il n’y aura point de cave, attendu que les caves sont publiques… Personne ne sera obligé aux réparations, parce que les maisons appartiendront à la société générale de tous les citoyens, » p. 173.