Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/393

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ver aucune charge. Il avait ému tout le monde en faisant appel à la concorde entre les républicains. Germain s’était défendu avec verve ; son langage, tantôt emphatique selon la mode du temps, tantôt spirituel, ce qui est toujours à la mode en France, avait plu : il avait apporté à la tension anxieuse des esprits une agréable diversion. Buonarroti, sans rien abandonner de ses doctrines, avait séduit l’auditoire par ses manières distinguées, par sa gravité douce, par je ne sais quelle poésie mélancolique qui émanait de toute sa personne ; sa jeune femme était là, « attentive aux dépositions des témoins, aux impressions des jurés, ou épiant dans les yeux de son mari qui la regardait souvent, des motifs de consolation et d’espérance[1]. » Il y avait de la sympathie autour de lui et le président n’avait pu se défendre de traiter avec égards dans son résumé, très serré d’ailleurs, l’homme qui au moment de son arrestation était chargé d’une mission du Directoire et en possession de lettres de recommandation du ministre des relations étrangères aux agents de la République au dehors. Darthé avait au contraire irrité la Cour et le jury

  1. Ch. Nodier, Souvenirs de la Révolution, cités par Ranc, dans son édition de Buonarroti, p. 190. Voici une lettre écrite sur un morceau de linge, que Buonarroti avait essayé de faire passer à sa femme dans la doublure d’un vêtement, pendant sa détention au Temple : « Cher objet de mon amour : tes peines font le tourment de ma conscience, qui d’ailleurs n’a rien à se reprocher. La scélératesse des hommes est cause de mes souffrances dont je me ferais gloire si tu n’en étais pas l’innocente victime. — Chère compagne : que ta passion et ta vertu t’ont coûté de chagrins ! Sans l’espoir de te voir et d’expirer au moins dans tes bras, je ne vivrais plus. Courage, ma tendre épouse, sois digne d’un homme de bien que l’orgueil et la tyrannie veulent immoler ; ne néglige rien pour venir me voir ; la Constitution le veut. (On ne pouvait refuser aux proches parents des prisonniers l’autorisation de les voir.) Mon amour pour toi ne fut jamais si ardent : donne-moi des nouvelles, dis-moi ce que tu fais, où tu es, si je te suis encore cher. Pauvre Thérèse ! Ah ! que je verse de larmes en songeant à toi ! Si je pouvais avoir ton portrait ! Salue F. C. et sa femme. Épargne ton argent. Hélas ! Adieu ! Nous souffrons pour la vérité et la justice. » Archives nationales, F. 7, 4276.