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en s’enfermant dans son système de protestation : on ne pouvait douter que la pièce où se trouvaient les mots luer les cinq ne fût de sa main[1] ; le tueur d’hommes qu’il était s’était révélé par des paroles atroces répétées au cours des débats, et d’ailleurs il était désigné à la sévérité des juges, vu l’état de l’opinion, par son passé révolutionnaire. Mais on ne pouvait condamner à mort Darthé si on laissait la vie à Babeuf. Or Babeuf avait été, il est vrai, l’âme du complot. Ses aveux lors de son premier interrogatoire ne pouvaient être oubliés. Il avait provoqué la cour et le ministre Cochon comme à plaisir. Sa Défense était moins une justification qu’une aggravation. Elle s’adressait bien plus à la postérité qu’à ses juges. Pourtant la situation du Tribun n’était pas irrémédiablement compromise et il n’était pas impossible que des circonstances atténuantes lui fussent accordées.

Nous trouvons dans sa Défense un long passage qui trahit un espoir et tente une voie de salut. Non sans peiné, Babeuf essayait de concilier la fière attitude qu’il entendait garder devant l’histoire avec une courbette gracieuse adressée au gouvernement. Qu’il eût défendu sa vie comme Antonelle, Buonarroti et Germain, si cela lui eût été possible, qui voudrait lui en faire un sujet de reproche ? Il avait bien aussi quelque devoir envers les siens. Mais satisfaire à la fois cet orgueil inouï qui l’avait poussé à ambitionner le plus compromettant des rôles et la prudence, cela n’était guère possible et le tenter était le fait d’un esprit qui ne sait se tenir ni dans la hauteur ni

  1. Babeuf, en paraphant les pièces au début de l’instruction avait si heureusement jeté un trait de plume sur les mots tuer les cinq de la pièce que nous avons citée p. 302, qu’ils étaient devenus presque illisibles. Plusieurs séances furent consacrées à l’examen de cette rature. La lecture de ces discussions qui portent sur des pleins et des déliés est intolérable ; mais elle s’impose à ceux qui seraient tentés de croire que la défense n’a pas eu le champ libre.