Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/24

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— Tiens-toi bien ! me disait-elle ; dans un moment nous serons chez nous.

Malgré ça, j’avais peine à me tenir éveillé, lorsque tout à coup, à cent pas en avant, éclate un hurlement prolongé qui me fit passer dans la tête comme un millier d’épingles : « Hoû ! oû… oû… oû… », et je vois une grande bête, comme un bien fort chien, aux oreilles pointues, qui gueulait ainsi en levant le museau vers le ciel.

— N’aie pas peur, me dit ma mère.

Et, m’ayant donné le falot, elle ôta ses sabots, en prit un dans chaque main et marcha droit à la bête, en les choquant l’un contre l’autre à grand bruit. Ça n’est pas pour dire, mais lors, j’aurais fort voulu être couché contre elle, dans le lit bien chaud. Lorsque nous fûmes à une cinquantaine de pas, le loup se jeta dans la lande en quelques sauts, et nous passâmes, épiant de côté, sans le voir pourtant. Mais, un instant après, le même hurlement sinistre s’éleva en arrière : « Hoû ! oû… oû… oû… », qui m’effraya encore plus, car il me semblait que le loup fût sur nos talons. De temps à autre, ma mère se retournait, faisant du tapage avec ses sabots, pour effrayer cette male bête ; mais, si ça gardait le loup d’approcher trop, ça ne l’empêcha pas de nous suivre à une trentaine de pas, jusqu’à la claire-voie de notre cour. Ayant pris la clef-torte dans la cache, car mon père n’était pas rentré, ma mère fit jouer le loquet de dedans et referma vivement la porte derrière nous.