Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/31

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possible qu’ils ne s’aperçoivent pas de choses qu’ils ne devraient point voir, et ne surprennent des secrets qu’ils devraient ignorer.

Mais revenons : ma mère, me voyant tout de loisir et ne sachant que faire, coupa avec la serpe des petites bûchettes bien droites et me les donna :

— Tiens, fais des petites quilles, et tu t’en amuseras.

Je façonnai ces quilles de mon mieux, avec son couteau et, ayant fini, je les plantai, et me mis à tirer dessus avec une pomme de terre bien ronde, en manière de boule.

Cependant ce triste jour de Noël touchait à sa fin. Sur les quatre heures, mon père revint de Montignac ; en entrant, il se secoua, car il était tout blanc, la neige tombant toujours, et posa son fusil dans le coin du foyer. Ensuite, ayant ôté son havresac, il en tira une paire de sabots jaunes, en bois de vergne, liés par un brin de vîme, et les posa à terre.

Ma mère mit le pied dans un sabot, et dit :

— Ils m’iront tout à fait bien. Et que te coûtent-ils ?

— Douze sous… et six liards de clous pour les ferrer, ça fait treize sous et demi. J’ai vendu les oiseaux vingt-six sous, j’ai acheté un tortillon pour le Jacquou, ça fait qu’il me reste onze sous et deux liards : te les voilà.

Ma mère prit les sous et alla les mettre dans le tiroir du cabinet.