Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/64

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l’homme de la Mïon quitta le chemin que nous suivions pour en prendre un autre. Pour dire la vérité, ça n’était pas un vrai chemin, mais un de ces passages tracés dans les bois par les roues des charrettes qui enlèvent les brasses dans les coupes. L’hiver, lorsque des endroits devenaient trop mauvais, on prenait à droite ou à gauche, et ainsi se traçaient de nouveaux passages dans toutes les directions, pistes douteuses qui s’entrecroisaient dans les landes et les bois. Dans les creux nous trouvions des fois des flaques d’eau jaunâtre qu’il fallait éviter, et, tantôt après, des ornières profondes d’un côté, et des bosses de l’autre qui faisaient pencher fortement la charrette, et causaient des ressauts violents lorsque le chemin redevenait brusquement plainier.

Nous marchions lentement, comme on peut aller avec des bœufs dans des chemins pareils. Le temps était gris et brumeux ; il semblait que nous nous enfoncions dans le brouillard. L’homme de la Mïon s’en allait devant, appelant ses bœufs, les encourageant de la voix, et parfois les piquant de l’aiguillon. On voyait qu’il connaissait bien la forêt : rarement il hésitait pour prendre une sente qui coupait à droit celle que nous suivions, ou une autre qui, bifurquant d’abord insensiblement, finissait par s’en écarter tout à fait. Pourtant, dans des endroits où s’entrecroisaient de ces pistes effacées, il s’arrêtait quelquefois un instant, regardait autour de lui,