Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/75

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

village, le mâle le signalait de loin par un cri perçant comme un appel de clairon, en se dressant sur ses pattes, imité aussitôt par toutes les oies qui répétaient son cri, comme pour dire : « Nous avons compris ! ». Et alors, il leur disait quelque chose comme : « Il faut se retirer » ; à quoi elles répondaient brièvement : « Oui », et se mettaient en marche vers la basse-cour, lui à l’arrière-garde, l’œil et l’ouïe attentifs, sérieux comme un âne qui boit dans un seau, avec la plume qui le bridait en lui traversant les nasières.

Je disais ça quelquefois à Lina, mais elle se moquait de moi en riant, et disait que j’étais aussi innocent que les oies, de croire des choses comme ça ; mais ça n’était pas de méchanceté et ne m’empêchait point de l’affectionner beaucoup et de l’embrasser souvent.

Une douzaine de jours se passèrent ainsi à m’amuser avec Lina, lorsqu’un soir, après souper, Géral donna à ma mère les sous de ses journées, et lui dit qu’il n’avait plus besoin d’elle pour le moment. Il était un peu honteux en disant ça, comme quelqu’un qui ment ; et, en effet, il y avait encore du travail assez. Mais, à ce que nous dit l’autre femme qui travaillait avec ma mère, la servante lui faisait tant de train à cause d’elle que, pour avoir la paix, il la renvoya. Ayant reçu deux pièces de trente sous, ma mère les noua dans le coin de son mouchoir, remercia Géral, et puis nous nous