Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/46

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par sa verve et sa plaisante façon de conter les choses. Comme à l’ordinaire, Mériol ne disait rien ; la Grande applaudissait et Jannic, le berger, jeune drôle qui n’avait encore vu le monde que par une chatière, s’esclaffait de bon cœur. Le notaire parlait patois, suivant une coutume générale alors dans la petite bourgeoisie, et aussi par nécessité : car, sauf Daniel, aucun des autres n’eût compris ses propos.

— Mon Dieu ! s’écriait la géante, quel brave homme jovent vous êtes, monsieur Cherrier ! Vous vous faites du bon sang et vous en faites faire aux autres !

— Je suis toujours comme ça hors de chez moi, répondait le petit homme ; aussi fais-je comme les chabretaïres, je m’en vais souvent.

— Pour ça, cependant, chez vous, c’est une bonne maison, et la plus riche de Saint-Vincent !

— Ma pauvre Grande, il y a un proverbe qui dit : « Tu as une bonne chèvre ? Tu as une bonne mule ? Tu as une bonne femme ? Eh bien, tu as trois mauvaises bêtes !… » Moi, j’ai une chèvre, une mule et une femme : au printemps passé, la chèvre mangea tous les boutons de vigne dans le jardin ; la mule faillit me casser la jambe, il y a quelque temps, et ma femme me casse la tête chaque jour !

Ce fut un rire général, que suivirent les commentaires de Sicarie ; après quoi, Mériol et Jannic se retirèrent. Daniel et le notaire burent quelques gorgées d’eau-de-vie du cru en devisant, les pieds aux landiers ; puis, sur le coup de dix heures, ils allèrent se coucher, tous deux dans la grande chambre à deux lits.