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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/116

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laise. On le planta en grande cérémonie sur la petite place en face de l’église, et lorsque la terre fut bien tassée autour et que laissé à lui-même il commença à se balancer doucement au vent, il fut salué par la décharge de tous les fusils des gardes nationaux qui partaient les uns après les autres : ça fit une belle pétarade à ce qu’il parait. Après ça, le curé Pinot en surplis, suivi de Jeandillou, son marguillier, qui portait un seau à l’eau bénite, fit un discours où il dit que l’Église pouvait avoir des préférences en fait de gouvernement, mais qu’elle n’en repoussait aucun, et vivrait en paix avec la République, pourvu que celle-ci respectât ses privilèges, révoquât quelques mesures prises par le gouvernement de Juillet, et remît les choses comme avant. Oh ! il ne demandait pas qu’on en revint au temps de l’ancien régime, il savait bien que les ordres ne pouvaient être rétablis, mais en fait, le clergé devait être le premier dans l’État, comme sous la Restauration, et il fallait que la République fît de bonnes lois pour faire respecter la religion.

Ceux qui comprenaient, étaient goguenards, mais il n’y en avait guère, car dans notre contrée arriérée, beaucoup n’entendaient pas le français et le curé prêchait ordinairement en patois, à cause de ça.

Son discours fini, le curé Pinot prit le goupillon et fit le tour de l’arbre en marmottant des oremus, et en l’aspergeant d’eau bénite avec un petit coup sec, comme qui dit : Si tu pouvais en crever ! Cela fait, il se retira toujours suivi de Jeandillou.

Pendant ce temps les gardes nationaux avaient rechargé leurs fusils, et cette fois bien guidés par leur capitaine, ils firent une seconde salve avec un peu plus d’ensemble. Après ça, on alla vider quelques pintes à l’auberge.

Mon oncle me racontait ces affaires-là, le soir, pour me distraire un brin, car j’étais bien triste