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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/366

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ça, ne pouvait se tenir de soupirer. Je tâchais bien de la consoler et de lui faire entendre qu’il n’était pas dans un pays désert ; qu’il y avait des maisons et des granges où on logeait les soldats. Mais c’est que ce n’était pas tout ; il y avait tant de choses qui la tourmentaient pour son drole : les maladies, la picote, surtout, qui faisait beaucoup de morts, et les balles des Prussiens et les obus, qu’elle n’était jamais rassurée qu’à moitié et par raison. Ce qui lui faisait du bien, c’est quand il écrivait. Comme il n’était pas malade, montrait ne s’inquiéter de rien, et se trouvait content de faire son devoir, la pauvre mère prenait confiance avec lui, et serrait bien soigneusement ses lettres, pour les reprendre, lorsqu’il tardait à en venir une autre.

En ce temps-là, on aurait dit qu’elle n’avait que cet enfant : c’est qu’il était le seul en danger, et que toute son inquiétude et son affection de mère allaient vers lui : les autres à l’abri autour d’elle n’en avaient pas le même besoin. Tout ça revient à ce que j’ai déjà dit là-dessus. Son plus grand bonheur était de pouvoir lui faire passer quelque chose : ou une bonne paire de bas bien chauds qu’elle avait faite avec Nancette, l’une reprenant quand l’autre lâchait, ou un bon gilet de laine pour le garder du froid. S’il partait quelqu’un du bataillon, allant rejoindre après s’être guéri au pays, elle avait toujours quelque chose à lui envoyer, des affaires qu’elle avait faites, et aussi quelque louis d’or, et ça amortissait un peu sa peine.

Un jour, nous reçûmes une lettre pleine de fier espoir ; c’était après la bataille de Coulmiers, où nos mobiles du Périgord firent si bravement leur devoir. Le drole nous racontait, non pas la bataille car un soldat n’en voit qu’un petit coin, mais comment ça s’était passé là où il était, à l’enlèvement du parc. Et il nous disait le bruit assourdissant du canon, le