Page:Eugène Le Roy - Les Gens d’Auberoque, 1907.djvu/226

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repoussant à sa large tête aux traits figés. Au moral, lascive, vaniteuse, méchante et paresseuse à l’excès. Toujours sale, la Creyssieux à peu près impotente passait ses journées à la cuisine, assise dans un vaste fauteuil paillé, fait exprès pour elle, attendant les commérages que quelques voisines allaient lui porter, et leur racontant les romans qu’elle inventait de toutes pièces sur les uns et les autres, avec un luxe de détails précis qui les rendait vraisemblables. Si sa langue ne chômait guère, ses mains, perpétuellement oisives, ne pouvant se croiser sur son ventre démesuré, s’allongeaient, chargées de bagues, sur ses cuisses énormes, dans une attitude hiératique. On eût dit, à la voir ainsi, une forte chaîne en simili or autour de son cou crasseux et ridé, une colossale idole thibétaine, — ou une mère abbesse attendant la pratique.

Cette horrible créature était aussi malfaisante que son frère ; mais, à peu près confinée chez elle, ses moyens de nuire étaient différents. Sans parler de sa langue empoisonnée, son arme favorite était la lettre anonyme.

On se demandait parfois, à Auberoque, pourquoi les filles du notaire, qui étaient riches, pourquoi mademoiselle Monturel, qui l’était aussi, pourquoi les filles du juge, qui étaient gentilles, pourquoi d’autres encore ne se mariaient pas et montaient en graine. Quelques rares personnes en soupçonnaient