Page:Eugène Le Roy - Les Gens d’Auberoque, 1907.djvu/233

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niable, plus rapide que le tricycle de M. Desvars. Il voyait tout cela, le malheureux, et son amour-propre d’inventeur s’humiliait devant la vérité. Il reconnaissait que c’était une idée de génie que d’avoir trouvé l’équilibre et la stabilité de l’appareil dans le mouvement lui-même ; et il enviait aussi le bonheur de celui qui avait pu connaître les applications industrielles du caoutchouc, et l’avait employé à amortir les réactions de son véhicule.

Alors il faisait un retour plein d’amertume sur lui-même. Comment aurait-il pu avoir cette idée, lui qui, confiné au fond d’une province, croyait encore le caoutchouc uniquement employé à la fabrication de vêtements imperméables ? Et, tristement, il se disait qu’il fallait à un inventeur l’enveloppement de cette atmosphère fiévreuse de Paris, où les faits observés, comme des vagues incessamment renouvelées, font concevoir des procédés, des applications et des usages nouveaux, qui ouvrent des horizons fermés jusqu’alors. Et puis, ce grand mouvement des intelligences, générateur des idées, était nécessaire pour tenir le cerveau en activité, pour le féconder et lui donner cette robustesse de gestation indispensable à la vie de toute œuvre humaine. La communication de la pensée avec des hommes d’entendement et de savoir, qui stimule l’esprit, qui le fortifie, il ne l’avait pas connue. Son existence s’était écoulée dans un bourg perdu du Périgord,