Page:Europe, revue mensuelle, No 95, 1930-11-15.djvu/103

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de chauves-souris, je marche sur des pistes bordées de pierres peintes en blanc, au fond des ravines où poussent des épines et des rues empoisonnées, dans leurs nids de grands vautours infatigables me regardent passer. La nuit arrive, comme un nuage ou comme un oiseau, au sommet du Djebel Shamshan le soleil descend au milieu d’une solitude de glaces : c’est l’heure où l’on peut ramasser sans se brûler les doigts les morceaux de lave, les pierres plates ou des jeux de cristaux imitent des fougères fossiles. Je suis perdu, je veux retrouver les hommes qui ne m’attendent pas sous les lumières d’Aden, qui ne sont pas là. Le cratère est une grande urne où la nuit s’entasse et accumule les ingrédients mystérieux de ses opérations magiques. Les pavillons du sémaphore échangent leurs derniers signaux avec les navires qui surgissent encore du côté de Little Aden que les marins appellent les Oreilles d’Âne. L’ombre froide comme du mercure est pleine de faces invisibles, de conventions secrètes, de drogues destinées à la magie sympathique. Elle bat comme un cœur. Je ne suis pas sauvé du jour sans pitié, je n’ose pas espérer dans cette nuit qui est d’une étendue énorme autour du volcan refroidi par elle, morte, circonscrit par les images de la lune dans la mer.

Je veux à peine penser à la figure actuelle de la vie qui me mène. Elle ne comprend la présence d’aucun objet matériel ou humain : un objet de pensée est aussi bien l’amour d’une femme qu’un arbre. Tout est absence. Montrez-moi mes outils, mes animaux, mes besoins, mes hommes, des champs, des armes. J’aurais seulement un champ, tout serait arrangé, ou encore, un métier réel entre les mains. J’ai des objets qui sont mes esclaves, ces choses vidées des vieilles habitudes, ceux qui ne veulent pas d’inventions ou de joie : des meubles, des porte--