Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/133

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composée, errant comme un spectre. Elle fit la révérence et se signa en nous voyant. Je n’osai pas la questionner, et je continuai ma route au galop du cheval.

— Mais que se passe-t-il donc ? me demanda de nouveau mon compagnon qui se sentait ému de mon trouble sans qu’il s’en rendît compte.

Nous arrivâmes sous l’immense arcade de verdure qui ombrageait le seuil de la maison du maître.

Deux jeunes nègres se présentèrent les yeux rougis par les pleurs. Selon l’usage, l’un d’eux prit nos chevaux par la bride qu’il enroula autour de ses bras.

— Maître me dit-il à voix basse, je ne puis donner ni à boire ni à manger à vos chevaux.

— Je m’en doute, lui répondis-je.

L’autre domestique nous introduisit dans l’intérieur de la maison désolée, où s’offrit à nos yeux le plus navrant des spectacles. Au fond d’une longue galerie close en jalousies, trois jeunes enfants entouraient leur mère, deux assis sur ses genoux et la tête penchée sur son sein, le troisième debout devant elle, les bras passés autour de son cou. La pauvre femme priait affaissée sur un lit de repos, le regard fixé au plancher, le front abattu et les mains croisées. Elle priait ainsi depuis deux jours, la malheureuse ! Dans un coin se tenaient accroupis et silencieux un groupe de quatre petits nègres, nus, enlacés les uns dans les autres, comme une pelote de vers. De temps en temps, ils levaient leurs grands yeux jaunes pour regarder leur maîtresse, échangeaient quelques mots entre eux, puis retombaient dans leur immobilité. Le chef de cette famille arpentait à grands pas la longue galerie avec une agitation fébrile, le regard sombre, les doigts crispés ; son visage était pâle et couvert de larges gouttes de sueur. Il vint au-devant de nous, me tendit la main avec affection, et nous conduisit auprès de sa femme. Mon