ordinaire, de se rendre malade à volonté et de se laisser littéralement mourir…
— À volonté ?
— Ma foi, oui ! ou peu s’en faut, attendu qu’il se guérit en quelque sorte avec une énergie égale à celle qu’il met à se rendre malade ; et je suis convaincu que les trois quarts des nègres que j’ai perdus ces jours-ci sont morts de la sorte…
— Mais, demandai-je au planteur, savez-vous à quel motif attribuer le malheur que vous atteint ?
— Je crois le connaître.
À ce moment le jeune nègre entra, portant sur un plateau d’argent massif les trois verres de sang-gris, et se disposait à les poser sur un buffet.
— Sers d’abord Monsieur, commanda le planteur en désignant mon compagnon.
Celui-ci n’eût pas plus frémi dans la maison des Borgia qu’il ne trembla en allongeant la main vers le plateau. Il se croyait en plein mélodrame, et me regardait d’un air de reproche qui n’échappa point au jeune nègre.
— Pa ni per (n’ayez pas peur), murmura celui-ci en souriant d’un sourire triste, vous pouvez boire, Monsieur.
Notre hôte et moi prîmes hardiment nos verres, et sans qu’il nous vînt même à la pensée d’hésiter, nous vidâmes notre sang-gris jusqu’à la dernière goutte.
En effet, nous n’avions rien à redouter ; ce n’était pas sur les maîtres, c’était sur les animaux que frappait le poison. La confusion même n’était pas à redouter.
Voilà certes, qu’on me permette d’y insister, un des côtés les plus curieux de cette vie des colonies. L’explication du planteur sur la cause présumable du fléau qui venait de le ruiner n’en est pas non plus un des traits les moins bizarres.