Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/160

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la maison en se prolongeant jusqu’aux limites des terres de la propriété, lesquelles expiraient aux premiers renflements du rude versant d’une montagne dont les gigantesques forêts d’un vert noir projetaient au loin leurs ombres épaisses. L’allée dont je parle était ornée de cinq ou six grands bassins ou fontaines de marbre. Enfin derrière la maison s’étendait un riche et vaste jardin potager.

Une telle habitation en Europe, par le site, par l’horizon qu’embrassait la vue, par le pittoresque de sa situation, eût fait le caprice d’un millionnaire ou d’un grand seigneur.

Mais, hélas ! au temps où je connus madame Mongenis, il n’existait plus que des débris et des ruines de cette somptueuse demeure. Ce n’était plus qu’une guenille de pauvre. Ces terrasses, qui auraient pu déborder de fleurs, étaient couvertes de mauvaises herbes où les serpents avaient élu domicile ; les briques des escaliers étaient tapissées d’une mousse gluante et terreuse ; à peine l’avenue de cocotiers offrait-elle un sentier praticable de dix pouces de large ; les bassins de marbre jaspé servaient de corbeilles à des roseaux et à des plantes sauvages ; l’eau des fontaines était tarie, et l’escalier qui descendait de la terrasse du milieu à la grande allée se trouvait enseveli sous l’avalanche des terres. Seul le jardin potager montrait, sur une très-petite étendue, quelques traces de culture et de végétation civilisée.

Dans l’intérieur de la maison, où deux ou trois pièces à peine étaient habitables, c’était la misère la plus complète et la plus nue.

Madame Mongenis s’était réfugiée là avec trois esclaves : une vieille négresse épuisée d’âge et de fatigue, un jeune mulâtre, nommé Constant, menuisier de son état, et une petite métive de treize ans, plus maîtresse qu’esclave de la bonne dame.