Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/199

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les nègres, impitoyables jusqu’alors, suspendirent cette lutte inégale que la reconnaissance et le dévouement étaient parvenus cependant à égaliser.

— Tu aimes donc bien ce béké (blanc) ? demanda un des nègres, le meneur de la bande.

— Ingrat, lui répondit la négresse, tu as oublié qu’un jour où tu avais été condamné à recevoir vingt-neuf coups de fouet, ce fut lui qui demanda et obtint ton pardon ! Tu as oublié que quand tu as eu, l’année dernière, la main broyée entre les cylindres du moulin à cannes, c’était sa mère, notre bonne maîtresse, qui allait elle-même deux fois par jour à l’hopital te panser et te donner des soins ! Tu as oublié que, quand tu t’es marié, c’est la sœur de ce petit maître qui a donné à ta femme toutes ses chemises, toutes ses jupes, tous ses madras ! Ingrat !

Le nègre demeura comme anéanti devant le souvenir de tous les bienfaits que la nourrice venait d’énumérer à son cœur. Il laissa tomber son coutelas, se jeta aux genoux du jeune enfant, dont il embrassa les mains et les pieds avec respect ; puis, se retournant vers la troupe émue aussi :

— Que pas un de vous, s’écria-t-il, ne touche à un cheveu de ce petit béké. Maintenant, reprit-il en s’adressant à la négresse, il faut le sauver. Et d’abord va-t’en à ma case dont voici la clé, tu t’y enfermeras avec cet enfant. Quand la nuit sera venue, je te conduirai dans un bois où tu pourras te cacher sûrement ; et, tous les jours, j’irai moi-même vous porter votre nourriture.

Il en fut ainsi ; le nègre tint parole, et il faisait tous les matins près de deux lieues pour aller visiter son petit maître (il continua toujours à l’appeler de ce nom), et son unique préoccupation, de ce moment, fut de trouver l’occasion de lui faire quitter l’île, ainsi qu’à la nourrice.

Pendant une nuit, à deux mois de là, il les embarqua