Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/252

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André prit avec passion l’une des mains d’Antonia et la porta à ses lèvres.

— Tenez, seigneur cavalier, dit la marquise en détachant l’unique rose qui s’épanouissait resplendissante au milieu de son épaisse chevelure noire, gardez ceci en souvenir de moi et de ce jour…

Les Havanaises, comme toutes les Espagnoles de l’Amérique d’ailleurs, attachent un prix extrême au don de cette fleur qu’elles portent dans leurs cheveux.

Je me souviens qu’un de mes amis avait rendu, en France, de très-sérieux services au général Rosas, le dictateur de Buenos-Ayres. Un officier de notre marine, dînant un jour chez le général, eut occasion de parler de cet ami et de ses services. Manuelita, la fille du dictateur, détacha la rose qui était plantée dans ses bandeaux, et se retournant vers l’officier :

— Vous partez demain pour la France ; à votre arrivée, remettez cette fleur à M. X…, et dites-lui combien je lui suis reconnaissante de son dévouement à mon père.

La conversation entre André et Antonia, quoique se ressentant bien un peu de l’excentricité de leur rencontre, se maintint cependant dans les limites de la plus irréprochable convenance ; elle fut ce qu’elle eût été dans le salon môme de l’hôtel de la caïa de l’Obispo.

— Et quand vous reverrai-je, Madame ? demanda André prêt à quitter Antonia sur l’ordre donné par la nourrice.

— Joséfa vous le dira demain à l’église, où vous vous rendrez à neuf heures.

Ils se séparèrent.

André suivit Joséfa, qui ferma les portes avec précaution. Arrivée à celle qui donnait sur la cour, elle l’entr’ouvrit avec un soin extrême, et après avoir passé la tête au dehors pour regarder et écouter, elle dit à voix basse :

— Venez, Excellence.