Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/255

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— Oui… J’étais allé jusqu’à la Croix du Pêcheur dire ma prière en pèlerinage, balbutia Joséfa ; mais y a-t-il longtemps que tu es ici ?

— À peine cinq minutes.

Joséfa respira. Elle craignait que Tobine ne fût arrivée avant le départ d’André, et qu’elle ne l’eût vu peut-être sortir.

— Pauvre enfant, reprit la nourrice, mais comment se fait-il que tu viennes me demander l’hospitalité ? T’es-tu donc sauvée de la maison du marquis ? T’a-t-on battue ? Que t’est-il arrivé, enfin ?

— Rien de tout cela nourrice ; seulement j’ai à causer avec toi. Ne veux-tu pas que nous entrions ?

— Certainement si, répondit Joséfa, en affectant de cette rencontre une joie qu’elle ne ressentait pas. Elle ouvrit la porte ; les deux femmes entrèrent. Joséfa s’arrêta dans la première chambre où il y avait de la lumière, et regardant aussitôt Tobine :

— Bon Dieu du ciel ! qu’as-tu donc ? s’écria-t-elle. Tu es froide comme la pierre d’un tombeau. Tes yeux sont noyés de larmes ; es-tu malade ?

— Oui, répondit Tobine, et bien malade.

— Où souffres-tu ? demanda Joséfa, devenue tendre et tout à fait sérieusement prévenante.

— Là ! fit la jeune mulâtresse en portant la main à soit cœur. J’aime, ma bonne Joséfa, j’aime !

Et en disant ces mots, elle se laissa tomber sur une chaise, tout émue et palpitante.

— Tu aimes donc sans espoir d’être aimée, que tu souffres ainsi ?…

— Sans espoir ! répondit Tobine en cachant sa tête dans le sein de sa nourrice.

— Pauvre enfant ! murmura Joséfa. Voyons, chère petite, continua-t-elle, tu es belle comme pas une fille