Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/267

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et du gouvernement de la colonie. Leur sauvegarde était donc dans l’impunité qu’ils garantissaient à ces voleurs bien connus, et même dans des subventions qu’ils leur payaient annuellement soit en argent, soit en vivres. À ces conditions, leurs propriétés étaient respectées. Un habitant se serait-il avisé de dénoncer un crime ou un délit dont il était victime ? d’abord il n’eût obtenu justice qu’à moitié, et le plus souvent pas du tout. Il devenait, de ce moment, le point de mire de tous les bandits ; le feu dévorait ses plantations, et sa poitrine était exposée au poignard des assassins. Le plus court et le plus simple était donc de subir ces traités dont j’ai parlé. Dans ce cas, les voleurs se mettaient corps et âme, à supposer qu’ils en eussent une, au service de ces soudoyeurs obligés d’attentats à la loi sociale.

Le marquis Daguilla, comme tous les autres riches planteurs, avait été obligé d’en passer par ces dures et honteuses nécessités. Algedro et Isturitz étaient à la fois les gardiens criminels de ses biens, et des serviteurs tout prêts à l’aider, moyennant un prix stipulé à l’avance, dans tous ses projets, quels qu’ils fussent. Ils avaient assez d’audace et assez d’alliés, même parmi les gens de la police havanaise, pour parcourir sans crainte les rues de la ville, à toute heure du jour ou de la nuit, et pour réussir, dans toute entreprise où l’administration elle-même n’aurait pas osé s’engager sous promesse d’un succès. Voilà à quelles extrémités l’insuffisance des gouvernements de Cuba, à cette époque, avait réduit la société de cette île !

Revenons à Tobine.

En sortant de chez Joséfa, elle s’était prise à courir de toute la vitesse de ses jambes. Elle avait eu le bonheur d’échapper aux serenos. Préoccupés sans doute de toute autre chose que de leur service, ils n’avaient pas vu ou