Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/306

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succès prodigieux du livre célèbre auquel je fais allusion, livre où, pour les besoins d’une cause toute gagnée devant le cœur, mais perdue devant les intérêts des propriétaires, l’auteur a faussé le caractère du nègre, imaginé des cruautés impossibles, exagéré et méconnu les rapports entre maîtres et esclaves.

Voici un de ces drames épouvantables dont je parlais tout à l’heure, et qui m’a été raconté par un abolitionniste, tel ou à peu près qu’il l’avait lu dans un journal américain.

Je ne saurais dire si le journal en question s’est inspiré de quelques passages du roman de madame Stowe, ou bien si cette dernière a connu le fait qu’elle a développé et habilement arrangé.

La scène se passe dans la Pensylvanie, à Wilkesbarre.

Un matin, l’adjoint au marshall, nommé Roscoe, escortés de trois chasseurs d’esclaves virginiens, se présentèrent dans un hôtel de la petite ville, et s’attablèrent fort paisiblement pour déjeuner. Le service était fait par un jeune mulâtre nommé Bill, qu’ils savaient être un esclave fugitif de la Louisiane.

Ce Bill était un grand et beau jeune homme à figure intelligente ; il avait si peu de sang africain dans les veines qu’on l’eût pris au premier abord pour un blanc ; c’est à quoi il s’était fié pour assurer sa fuite et pour se croire en parfaite sécurité à Wilkesbarre. Bill à qui ses hôtes ne paraissaient nullement suspects, causait familièrement avec eux, lorsqu’il se sentit tout à coup frappé par derrière, et vigoureusement saisi par le cou.

Déjà son poignet droit était pris dans les menottes, lorsque, par un effort désespéré, il parvint, après une lutte terrible, à se débarrasser de ses adversaires. Malgré le peu de chances que présentait au pauvre mulâtre une lutte si inégale, il réussit à s’échapper de la pièce où on avait vainement tenté de l’enfermer.