Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/33

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Capotte. Il se dirigea vers la mer, et découvrit une ajoupa, sorte de hangar, dont les murailles sont faites de minces troncs, de branches d’arbres ou de gros bambous alignés et liés les uns aux autres. Dans cette ajoupa il trouva un nègre occupé à goudronner une belle pirogue fraîchement calfatée.

— Veux-tu, lui demanda Firmin, me conduire jusqu’à la Basse-Pointe ?

Le nègre fixa sur le jeune homme deux grands yeux stupéfaits.

— Quel jour ? dit-il après un moment de réflexion.

— Mais à l’instant même.

Le nègre sortit, regarda la mer, et, secouant la tête :

— Impossible, maître, répondit-il, impossible !

— En te payant le prix que tu voudras.

— Vous me donneriez la Martinique tout entière que je ne me mettrais pas à la mer. Il faudrait pour cela être fou ou quimboisé[1].

— Je suis quimboisé, affirma le jeune créole, qui savait quelle puissance ce mot exerce sur l’esprit des nègres.

— Quel sorcier vous a donné piaille ?

— Turc.

— Le raffineur de Spoutourne ?

— Lui-même.

— C’est bien, alors ; votre quimboix doit être bon. Je consentirai à partir avec vous, maie demain au matin, s’il plaît à Dieu. Et vous donnerez un demi-doublon (43 fr. 20 c.) à chaque homme de mon équipage : nous sommes six.

— C’est entendu.

  1. Ensorcelé. Le quimboix ou piaille est une amulette qui doit vous garantir, quand elle vient d’un bon sorcier ou d’une bonne sorcière, de tous les dangers possibles. Les nègres y ont une foi aveugle et beaucoup de blancs également.