Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/50

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longtemps intrigué ; j’en ai demandé la raison à un nègre. Bonne ou mauvaise, il m’a donné celle-ci : ce qui l’effrayait le plus dans un blanc, c’était la domination du regard, et, dans les ténèbres, par conséquent, cette influence magnétique disparaissant, il se sentait plus à l’aise.

Après donc avoir allumé son cigare, le nègre de garde dit à Firmin :

— C’est vous qui ayez sauvé mam’zelle Madeleine du feu, maître, c’est bien ; c’est une bonne action que vous avez faite là. Le bon Dieu vous le rendra.

— Vous aimez donc Madeleine, vous autres ?

— Si nous aimons mam’zelle Madeleine ! s’écria le nègre ; mais, après notre maîtresse, c’est la providence de l’habitation ; et puis papa Jérémie est un brave homme aussi. Pour un mulâtre, il n’est pas très-dur à l’égard des nègres.

Firmin venait de saisir dans les paroles du nègre deux nuances qui étaient pour lui, à peu près au courant des mœurs et du langage des esclaves, des indices certains. L’expression de papa, accolée au nom du vieux mulâtre, impliquait l’idée d’une, sympathie très-marquée pour Jérémie. En effet, quand les nègres appellent quelqu’un papa, tout est dit.

Ensuite, Firmin avait remarqué que son interlocuteur n’avait pas prononcé le nom de Madeleine tout court, et avait eu soin de l’appeler mam’zelle. Cela eût été tout naturel partout ailleurs que dans ce pays, où sa qualité de mulâtresse autorisait tout le monde, depuis le blanc le plus huppé jusqu’au dernier nègre, à se dispenser de cette précaution de politesse envers la jeune fille. Firmin en conclut que Madeleine était en grande vénération parmi ce petit peuple de l’habitation ; mais ce n’était pas encore une raison suffisante : il voulut tout savoir, et pressa le