Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/52

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plus, Madeleine n’avait, en fait de signes extérieurs, qui pussent laisser croire qu’elle avait dans les veines du sang mêlé, que ceux qu’il faut une grande habitude, pour reconnaître et constater. Ce que son éducation et les prétentions de Jérémie à son égard pouvaient avoir de peu conforme aux usages du pays, Madeleine par la finesse, par l’élégance de ses manières, par son caractère affable, l’avait fait oublier des gens au milieu desquels elle vivait. Et puis on était disposé à tout pardonner à Jérémie en faveur de sa probité et de l’estime dont les blancs eux-mêmes l’entouraient.

Tels furent, en substance, les renseignements que le nègre donna à Firmin ; après quoi il ramassa sa casaque de nuit et son coutelas qu’il avait déposés à terre, et remonta la savane en sifflotant un air de bamboula.

Cette conversation n’était pas de nature à calmer l’agitation morale de Firmin : elle ajouta au contraire quelques pages plus ardentes encore au roman que son imagination dictait à son cœur. Firmin, étranger par les habitudes de sa vie aux préjugés de cette société qu’on a beaucoup calomniée faute de la bien comprendre, Firmin, dis-je, se laissa prendre à l’intérêt qu’inspirait la position de Madeleine ; comme couronnement à l’édifice de sophismes qu’il avait entassés les uns sur les autres, il laissa tomber de ses lèvres ces mots :

— Mon Dieu ! que la pauvre enfant doit souffrir, et combien elle est à plaindre !

Le point du jour le surprit appuyé encore sur le rebord de la croisée, le cou nu, les cheveux en désordre et le visage tout pâli par la fatigue. Cette nuit de rêves accomplis les yeux ouverts avait achevé, dans le cœur du créole, l’œuvre de la veille. Il s’était livré pieds et poings liés, sans combat, à un amour dont la victoire sur lui avait été trop facile. Il n’avait essayé aucune résistance.