Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/57

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brutale et sensuelle, il eût hésité, il eût discuté avec sa conscience. Il se leva, au contraire, spontanément, alla vers le mulâtre et lui tendit la main.

— Votre conclusion est qu’il faut que je parte, n’est-ce pas ? que je quitte votre case au plus tôt ? Eh bien, Jérémie, je partirai. Vous m’avez ému, vous avez remis ma raison égarée dans le droit chemin. Vous avez parlé comme un bon père ; vos paroles ont frappé sur un cœur honnête et loyal. Il est temps encore que je m’éloigne d’ici sans trop d’effort, je le crois du moins… Je partirai donc, faites seller mon cheval.

— Oh ! merci, Monsieur… merci ! s’écria l’économe, en portant à ses lèvres attendries les deux mains du créole.

— Mais, reprit Firmin, je désire faire mes adieux à Madeleine ; le dernier regard qu’elle m’adressera sera le souvenir que j’emporterai de ce rapide moment d’un bonheur que je garderai toujours pur au fond de mon cœur.

Jérémie parut réfléchir un moment ; puis, comme prenant à regret une résolution bien mûrie :

— Franchement, et dans votre intérêt, je dois vous refuser cette entrevue, dit-il ; elle gâterait tout.

Cette fois l’orgueil de Firmin parut se raidir contre cet abus d’autorité de la part du mulâtre. Il eut recours aux objections, aux protestations, aux raisonnements les plus subtils, Jérémie demeura inflexible.

— Voyons, dit-il au jeune créole, vous avez reconnu que je raisonnais juste, vous avez approuvé tout ce que ma sollicitude paternelle m’inspirait pour défendre le repos et l’honneur de mon enfant. Eh bien ! croyez-moi, mieux vaut que vous partiez sans la voir. Vous avouiez tout à l’heure que l’effort ne serait pas encore trop rude. Qui sait ? Après cette entrevue, il vous faudrait peut-être rassembler toutes vos forces à la fois pour briser la chaîne… Réflé-