Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/78

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— Eh bien ! demanda ce dernier, avez-vous passé une bonne nuit ?

— Très-bonne, monsieur Jérémie, vous m’avez traité en enfant gâté.

— Vous l’écrirez à M. de Lansac ?…

— Dès aujourd’hui.

— Par la même occasion, vous lui manderez ce que j’ai fait relativement à votre position.

— Comment, vous y avez déjà songé ?…

— Certes ; le géreur de l’habitation voisine m’a justement confié, il y a deux ou trois jours, qu’il avait besoin d’un second économe.

— Mais… commença Firmin en dissimulant mal son inquiétude.

— Ici, reprit Jérémie, les nègres de l’atelier n’aiment pas les nouveaux visages, surtout ceux des Européens. Si je vous prenais avec moi, savez-vous ce qu’ils feraient ? Ils empoisonneraient bœufs, mulets, moutons, et vous en accuseraient. La preuve, diront-ils, que c’est ce béké-France (ce blanc venu de France) qui est le coupable, c’est que jusqu’à présent il n’y avait pas encore eu un seul empoisonnement sur l’habitation, et c’est depuis son arrivée que la mortalité a commencé sur les bestiaux. Qu’objecterez-vous à cela ? Rien ! On ne pourra nier que les nègres disent vrai. Le maître d’ici ne vous soupçonnera même pas ; mais il sera obligé de vous renvoyer pour conjurer sa ruine. Vous partirez avec une mauvaise réputation. Partout où vous irez ensuite, vous introduirez, sans le vouloir, le poison avec vous ; vous serez congédié de tous les coins de la colonie ; finalement, ne trouvant plus d’emploi, vous mourrez de faim ou serez contraint de repartir pour la France.

Cette théorie des empoisonnements, que Jérémie venait de dérouler devant Firmin, était parfaitement vraie, et