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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

Pleurant comme Diane, au bord de ses fontaines,
Son amour taciturne et toujours menacé…

Viviane est parfaitement sûre de Merlin, mais Viviane est atteinte d’une ambition démesurée. Si elle partage sa science et son pouvoir, il n’en sera point lui-même, pour cela, dépouillé ni déchu, et, quand Merlin sera son prisonnier, Viviane sera d’autant plus souveraine. Aussi l’endort-elle. Ensuite, avec sa guimpe, elle décrit les cercles magiques que Merlin ne franchira plus jamais ; il n’y a que de l’air, et, cependant, cet air équivaut à une indestructible muraille. Au moins, la fée, en cette version, donne-t-elle à l’enchanteur une jolie prison ; elle l’enferme dans un buisson d’aubépines en fleurs : de là, Merlin prophétise, et sa voix se mêle à toutes les voix de la forêt de Brocéliande. Dans une autre version, Viviane dépose Merlin dans un tombeau d’où Gauvain entendra l’enchanteur prophétiser, et où Viviane poussera la cruauté jusqu’à venir visiter sa victime avec son amant heureux, Méliador.

La renommée de Merlin survécut au siècle qui vit naître la vogue de la Table-Ronde.

À la fin du moyen âge, nous la voyons persister dans le domaine populaire ; la douloureuse France de la guerre de Cent Ans se rappela le rêve fantastique de la Bretagne contre l’oppresseur anglo-saxon, et il fut souvent question des prophéties de Merlin à cette époque. Certains voulurent voir en Jeanne d’Arc la vierge guérisseuse, sortie du bois Chenu, que prophétisait Merlin dans Geoffroy de Monmouth[1]. Il est probable que cette vierge, telle

  1. Un certain nombre d’années avant la naissance de Jeanne d’Arc, une Marie d’Avignon rêva d’une armure destinée à