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JEAN DE BRÉBEUF

s’écroula sur le sol où il demeura inanimé.

Un cri de femme… un cri déchirant monta. Marie d’un bond allait se jeter en pleurant sur le corps de son fiancé.

Débarrassé de son ennemi, l’Araignée poussa un grondement de fureur et s’élança pour se jeter sur la jeune fille.

À la même seconde, Gaspard épaulait son fusil et faisait feu.

La détonation ressembla à un coup de tonnerre.

— Malheureux ! clama Jean de Brébeuf.

— Malheureux, oui, grogna Gaspard, car je l’ai manqué !

Manqué ? Non, pas tout à fait. L’Araignée venait d’arrêter son élan, et sa main gauche s’était, portée à son épaule droite. Il chancela un moment, puis se raidissant, il alla en titubant s’asseoir sur le tronc d’arbre qui avait servi de siège à Marie.

Je l’ai frappé ! cria Gaspard avec joie. En avant !

Et sans attendre le missionnaire il bondit vers le feu et les Iroquois qui, stupéfaits et épouvantés, reculaient dans l’ombre prêts à abandonner leur chef.

Mais l’Araignée leur jeta un cri.

Le missionnaire criait en même temps à ses Hurons d’accourir. L’instant d’après Hurons et Iroquois se faisaient face, séparés seulement par le feu de broussailles qui se mourait peu à peu.

Le missionnaire se penchait sur Marie et disait :

— Ma pauvre enfant, quel malheur !…

Il avait de suite constaté que Jean Huron, le crâne fendu, était mort.

L’Araignée, à la vue du missionnaire, s’était levé comme pour se jeter sur lui, mais Gaspard le prévint en le menaçant de la crosse de son fusil.

— Prends garde, mon garçon, dit-il ; si je t’ai manqué de ma balle, je ne te manquerai pas de ma crosse.

— Arrière, Gaspard ! ordonna Jean de Brébeuf en s’avançant vers le chef iroquois qui tenait une main ensanglantée à son épaule droite.

Marie, sans pleurer, demeurait toujours penché sur le corps inerte du jeune huron, immobile, rigide, comme statufiée.

Les Hurons pour maintenir les Iroquois en respect les menaçaient de leurs flèches.

Mais sur un signe de l’Araignée l’un de ses guerriers se glissa subrepticement dans les fourrés assombris, rampa vers Marie et leva sur elle un long couteau. Mais sa main ne descendit pas. Il regarda le chef iroquois comme pour attendre son ordre.

Jean de Brébeuf continuait de s’avancer vers l’Araignée. Celui-ci dit :

— Si le Père Noir fait encore un pas, je donne l’ordre à mon guerrier de frapper Madonna.

Surpris Jean de Brébeuf s’arrêta et tourna ses yeux vers la jeune fille. Elle demeurait écrasée sur le cadavre de son fiancé, mais à genoux près d’elle un iroquois tenait un couteau suspendu au-dessus de sa nuque. Le missionnaire ne perdit pas son calme.

— Tu ne donneras pas cet ordre, mon fils, dit-il sévèrement, parce que tu commettrais un crime monstrueux que le grand Dieu vengerait de suite !

— Je ne crains pas ton grand Dieu ! répondit le jeune indien avec mépris.

Puis indiquant Gaspard, qui tenait son fusil par le canon prêt à s’en servir comme une massue, il ajouta sur un ton menaçant :

— Le guerrier blanc m’a brisé l’épaule droite. C’est bien. Mais gare à lui ! L’Araignée promet de lui casser la tête avant que les os de ses pères n’aient blanchi durant six autres lunes !

— Prends garde que je ne te casse la tienne de suite ! gronda Gaspard en levant la crosse de son fusil.

— Silence, Gaspard ! commanda le missionnaire. Mon fils, reprit-il en s’adressant au chef iroquois, j’admire ton énergie et ta force. Mais le guerrier blanc a agi trop vite et il s’en repent. À présent je te demande de me rendre Madonna.

— Non ! dit résolument l’Araignée.

— Oublies-tu qu’elle ne veut pas être ta femme ?

— Elle le voudra maintenant que l’autre n’est plus. Rien ne l’empêchera plus de me suivre.

— Elle ne veut pas te suivre.

— Elle veut… Demande-lui !

Depuis une minute Marie regardait le missionnaire et le chef iroquois.

Jean de Brébeuf dirigea son regard clair vers elle. Elle baissa les yeux et parut demeurer confuse.

— Est-ce vrai, Marie, que tu veux devenir la femme de l’Araignée ?

— Oui, Père, répondit-elle sans lever les yeux.