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JEAN DE BRÉBEUF

— Mes enfants, souvenez-vous que vous avez commis bien des fautes durant l’été, vous avez été injustes à l’égard de votre Père Noir qui vous aime mieux qu’un père n’aime ses enfants, et le bon Dieu veut vous faire entendre qu’il importe d’écouter sa voix qui parle par ma bouche si vous désirez que le gibier abonde dans la forêt et le poisson dans les lacs. Écoutez donc la voix de votre Père Noir quand il parle, suivez ses conseils, obéissez à ses commandements et vous verrez que le gibier sera abondant !

Plusieurs sauvages attribuèrent la rareté du gibier à l’absence de Marie, et quelques-uns firent part au missionnaire de leur soupçon.

Jean de Brébeuf, comme s’il eût été inspiré par le ciel, répliqua :

— S’il est vrai que le gibier manque parce que Marie est allée au pays des Iroquois, c’est que Dieu l’a voulu pour vous punir. Mais si vous avez confiance en lui, si vous respectez le Père Noir et l’aimez toujours comme avant, eh bien ! je vous promets que Marie va revenir bientôt et que le gibier sera de nouveau abondant.

Et, prodige merveilleux, à la fin de ce même jour du mois de janvier 1649, et au plus grand émerveillement des hurons, ceux-ci virent tout à coup Marie paraître dans la porte de la bourgade.

Après la première surprise, ce fut une course, une ruée formidable à la rencontre de la jeune fille. Toute la population, folle de joie délirante, clama :

— Ekon ! Ekon !…

De sa hutte Jean de Brébeuf accourut.

Marie tomba dans ses bras en sanglotant…


CHAPITRE XII

TOUJOURS CHASTE ET PURE !


Oui, c’était Marie… mais Marie méconnaissable !

Amaigrie, les yeux creux et cernés, le visage tuméfié par les congélations, les cheveux en désordre, les vêtements déchirés, Marie était à peine l’ombre d’elle-même. Si on l’avait de suite reconnue, c’était dû à ses yeux qui conservaient toujours la même candeur et la même pureté d’éclat. C’étaient toujours ses mêmes yeux ouverts et francs dans lesquels on pouvait lire toutes ses pensées les plus intimes, et au fond desquels, aujourd’hui, on saisissait une grande souffrance.

— Marie ! Marie ! s’écria le missionnaire joyeux, me diras-tu par quel miraculeux événement tu reviens dans ton village et ta famille ?

— Père, répondit la jeune fille en pleurant, j’ai bien souffert, et si je suis vivante encore c’est parce que je n’ai cessé d’implorer le bon Dieu !

— Tu as bien fait, ma fille, d’avoir mis toute ta confiance en lui, car lui seul pouvait te venir en aide.

— J’ai voyagé tout l’automne et tout l’hiver par les forêts sans fin, et j’ai eu bien faim et bien soif.

— Quand donc as-tu quitté ton époux l’Araignée ?

À cette question la jeune fille sursauta.

— L’Araignée n’a jamais été mon époux, s’écria-t-elle comme avec horreur, jamais, jamais, Père !

Jean de Brébeuf tressaillit d’une joie immense : Marie revenait telle qu’elle était partie, pure comme la vierge !

— Je suis revenue à ma bourgade, continua la jeune fille, pour vous demander de me conduire auprès des saintes femmes de Québec, où je veux aller prier pour vous d’abord et pour Jean, mon fiancé.

— C’est bien, Marie, j’irai te conduire là-bas dès que la verdure renaîtra, dès que l’eau des lacs miroitera, dès que la neige aura fondu. Mais viens me conter ton histoire, car je veux tout savoir.

Mais avant qu’elle pût suivre le missionnaire, son père et sa mère vinrent l’embrasser. Puis toute la bourgade l’entoura, pour l’interroger sur ses aventures, pour lui exprimer le plaisir qu’on avait de la revoir et pour lui faire toutes espèces de bons souhaits. Plusieurs, dans leur joie et leur vénération pour cette vertueuse fille, portaient à leurs lèvres ses haillons. Enfin, après avoir promis qu’elle raconterait à tous son histoire, elle put se rendre au domicile du missionnaire.

Elle lui fit le récit suivant.

L’Araignée l’avait emmenée vers son pays. Durant trente jours ils avaient voyagé par les lacs et les forêts. Puis un soir ils avaient escaladé une haute montagne. Du sommet de cette montagne ils avaient aperçu une riche vallée couverte de prairies en fleurs, tachetée de petits