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JEAN DE BRÉBEUF

l’ai vu que durant quelques secondes. Il a disparu tout à coup.

Gaspard revenait armé de son fusil.

— Il faut le chercher, suggéra-t-il. Moi, j’ai décidé de l’étouffer dans sa toile cette araignée-là !

— Patience, mon ami, et ne nous énervons pas ! dit sévèrement Jean de Brébeuf.

Puis à Gabriel Lalemant il dit :

— Allons faire le tour de la palissade. Quant à toi, Gaspard, je te défends de te servir de ton fusil sans mon ordre.

— C’est compris, grogna le malouin. Mais si l’iroquois fait la moindre menace, vous pourrez m’excommunier si vous voulez, moi je pétarde !

Les deux missionnaires sourirent et, suivis de Marie et de Gaspard, sortirent.

La lune à son croissant jetait sur la nature calme une lueur pâle, mais suffisante pour permettre de voir à quelque distance êtres et choses.

— Viens nous montrer où tu as vu l’Araignée ! dit Jean de Brébeuf à la jeune huronne.

— Près de la porte de la palissade, répondit la jeune fille. Il était debout sur la palissade vis-à-vis de la plateforme, et il me regardait de ses yeux de feu !

Arrivé près de la plateforme, Jean de Brébeuf y monta. Tout était tranquille, le plus grand silence planait sur les bois. Il demeura un moment pensif. Il n’était pas loin de penser que Marie avait rêvé. Mais il se pouvait bien aussi que l’Araignée fut dans ces parages, puisque deux de ses bandes avaient été vues. Le missionnaire laissa errer ses regards perçants sur les abatis.

— Si l’Araignée, aux aguets, avait dissimulé sa présence parmi ces troncs d’arbres abattus ?… se dit le missionnaire.

Pour obéir à une idée soudaine, il descendit de la plateforme et dit à Gabriel Lalemant et à Gaspard :

— Allons visiter les abatis, mes amis. Il se peut que l’Araignée s’y cache, si Marie n’a pas rêvé.

— Oh ! je n’ai pas rêvé, Père, je n’ai pas rêvé, s’écria la jeune fille. Je l’ai vu là, debout, comme je vous vois, aussi nettement.

— C’est bon, ma fille, rentre chez toi, car il fait trop froid.

Marie s’éloigna.

Les deux missionnaires franchirent la porte de la palissade, lorsque tout à coup Jean de Brébeuf parut se raviser.

— Gaspard, dit-il à voix basse, je pense que tu ferais mieux de monter sur la plateforme et là surveiller les abatis.

Les deux missionnaires firent le tour de la palissade tout en scrutant avec attention les abatis. Ils ne purent découvrir rien de suspect. Lorsque Jean de Brébeuf fut revenu près de la porte de la palissade, il dit à son compagnon :

— Demeurez ici pendant que je vais examiner la neige au pied de la palissade, si vraiment l’Araignée est venu, j’y verrai la trace de ses pas.

Il se dirigea vers le pied de la palissade à l’endroit où, selon les dires de Marie, l’Araignée était apparu. Mais à sa grande surprise le missionnaire n’y découvrit nulle trace de pas humains.

— Ma foi, se dit-il, j’ai envie de croire que Marie a été l’objet d’une hallucination. Mais je sais aussi que l’Araignée, quand il veut, ne laisse jamais de trace, de son passage.

Penché vers le sol Jean de Brébeuf continuait d’examiner la neige.

Gaspard, debout sur la plateforme, tenait ses yeux sur les abatis devant lui et la forêt plus loin. Il ne pouvait voir le missionnaire que lui cachait la palissade. Mais lorsque Jean de Brébeuf, certain qu’il ne découvrirait pas une trace de l’Araignée, redressa sa taille, l’ombre de celle-ci se profila tout à coup sur les abatis qu’éclairait la lune. Gaspard quelque peu énervé, vit cette ombre, et croyant avoir affaire à un ennemi, épaula son fusil et fit feu.

Une vibrante détonation éclata, une raie de feu sillonna l’espace, et durant cinq minutes le coup de feu se répercuta d’écho en écho comme un roulement de tonnerre.

— Eh ! que fais-tu là, Gaspard ? cria Jean de Brébeuf en s’écartant de la palissade.

Le malouin comprit son erreur.

— Pardon ! Père, c’est votre ombre que j’avais prise…

— Ah ! ça, tu prends donc mon ombre maintenant pour un ennemi ?

Il se mit à rire avec Gabriel Lalemant.

Mais à ce coup de feu inattendu tous les habitants de Saint-Louis étaient sortis en grand émoi de leurs cabanes, et plusieurs guerriers hurons grimpaient aux plateformes, l’arc tendu et la flèche prête à voler