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JEAN DE BRÉBEUF

À ses yeux perla une larme qu’il essuya rapidement.

Il comprenait bien maintenant que la jeune huronne n’avait pas rêvé, qu’elle avait bien vu et reconnu l’Araignée sur la palissade. Il se reprochait de n’avoir pas cru les affirmations de la jeune fille. En admettant la vérité de ces affirmations aurait-il pu quand même sauver les deux villages et leurs habitants ? Non. Il ne se doutait pas que l’ennemi fût si rapproché. Il aurait attendu au lendemain pour organiser la défense, comme il se l’était proposé la veille de ce jour d’accord avec Gabriel Lalemant. Non… car l’Araignée arrivait comme un coup de foudre. Il ne restait plus qu’à faire face à l’événement, qu’à combattre le danger.

Il se recommanda à Dieu et se mit à l’œuvre.

Gaspard Remulot l’aidait.

Les Hurons n’avaient pas d’armes à feu pour faire la chasse, ils n’usaient que leurs arcs et leurs flèches qu’ils maniaient avec beaucoup d’habileté. Mais Jean de Brébeuf avait obtenu de M. de Montmagny trente fusils, de la poudre et des balles. Ce matériel de guerre avait été amené par Gaspard Remulot et Jean Huron à la bourgade en grand mystère, pour ne pas exciter la convoitise de certains guerriers hurons dont le dévouement n’était pas trop sûr. Ces armes et ces munitions avaient été enfouies dans un trou creusé dans le sol sous le toit du missionnaire, elles étaient là pour servir à la défense de la bourgade en cas d’attaque par les Iroquois.

Sur l’ordre de Jean de Brébeuf, Gaspard déterra vivement ces armes et en fit la distribution parmi les meilleurs guerriers. La vue de ces armes ranima une confiance qui chancelait déjà parmi ces hurons timides. Ceux qui n’avaient pas de fusils saisissaient à la hâte leurs arcs et leurs carquois et montaient aux plateformes pour recevoir l’ennemi.

Il n’y avait pas cent guerriers hurons contre les quatre cents Iroquois qui s’approchaient rapidement. Mais ces quatre-vingts guerriers, après le premier émoi, se raidirent, leur courage revint devant le courage que montrait le Père Noir, et ils attendirent de pied ferme le choc des Iroquois. Plusieurs de ces braves hurons avaient même voulu que les deux missionnaires accompagnassent les femmes et les enfants dans leur fuite vers la forêt. Mais Jean de Brébeuf et Gabriel Lalemant avaient refusé énergiquement.

— Nous sommes les chefs, avait répondu Jean de Brébeuf, et les chefs restent avec leurs soldats !

Les préparatifs de défense n’étaient pas encore terminés, les femmes et les enfants n’avaient pas tous quitté le village et le jour avait à peine grandi, que les premières bandes iroquoises firent leur apparition de l’autre côté des abatis. Elles aperçurent avec surprise les guerriers hurons sur les plateformes, l’arc tendu ou le fusil à l’épaule. Elles jetèrent un cri effroyable et grimpèrent comme avec rage sur les abatis.

— Feu ! nom d’un tonnerre ! rugit Gaspard en tirant le premier.

Cette vive mousqueterie ébranla les échos de la forêt. Une dizaine d’Iroquois tombèrent sous ces premières balles.

Mais déjà une terrible riposte éclatait du côté de la forêt : cent guerriers iroquois avaient mis en joue les guerriers hurons sur les plateformes. Gaspard vit tomber cinq ou six de ses meilleurs tireurs.

Il lança un juron d’humeur et ordonna de recharger les armes.

Les Iroquois franchissaient déjà les abatis et entouraient rapidement la bourgade. En même temps une grêle de balles et de flèches se mit à tomber sur les guerriers hurons déjà désemparés.

Des haches attaquaient avec fureur la palissade. Les coups redoublés se confondaient avec le crépitement de la mousqueterie, le sifflement des flèches, les cris, les gémissements. Les Hurons tentaient vainement par des projectiles de toutes sortes d’éloigner l’ennemi de la palissade, parce que des balles et des flèches parties des cimes des arbres de la forêt semaient la mort parmi eux. À un moment on eût dit que chaque pin, chaque cèdre, chaque chêne donnait asile à un iroquois. Les flèches et les balles plongeaient de tous côtés dans la bourgade. L’espace continuait de retentir de cris féroces, de hurlements de bêtes fauves. La forêt elle-même tremblait de toutes parts. Dans la bourgade on n’entendait plus qu’un râle d’agonie. Plus de la moitié des guerriers hurons était tombée, la plupart horriblement atteints par les balles et les flèches.

Gabriel Lalemant secondait Jean de Bré-