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la belle de carillon

— Et voilà, messieurs ! prononça Bertachou en s’inclinant avec une politesse moqueuse devant les jeunes sous-officiers émerveillés et béants.

Et, tandis que d’Altarez tout essoufflé se laissait choir honteusement sur un siège, Bertachou remettait sa rapière au fourreau et s’en allait, disant :

— Oui, demain, devant les Anglais on verra Bertachou… mais on y verra aussi Valmont et ses Canadiens…

VIII

ISABELLE


Bertachou sortit, fier comme un conquérant.

Dans la nuit blanchâtre il vit surgir de l’ombre que faisait l’un des saillants du fort et venir à lui une petite silhouette humaine.

— Monsieur Bertachou… proféra une voix si douce que le lieutenant crut s’entendre appeler par une voix céleste.

Il s’arrêta net et frémissant.

À peine reconnaissable dans sa longue mante grise dont le capuchon avait été ramené sur sa tête, Isabelle s’approcha tout à fait de lui.

— Monsieur Bertachou, reprit la jeune fille avec angoisse, avez-vous tué le Capitaine d’Altarez ?

Bertachou tressaillit et pensa :

— Oh ! oh ! elle l’aime donc, la bécasse !

Il la regarda un moment comme pour essayer de trouver sur la physionomie de la belle enfant le véritable secret de son cœur. Non, Bertachou ne pouvait voir suffisamment le beau visage qu’il devinait plutôt.

— Ah ! non, mademoiselle, répondit-il, sur ma foi ! Pas même blessé. Voyez-vous, sacre… pardon ! voyez-vous je me suis contenté de lui faire sauter des mains sa colichemarde. Ah ! non, je ne tue pas les perdreaux moi, sacre…

Isabelle respira avec grand allégement.

— Merci, souffla-t-elle, d’avoir eu pitié de lui, pauvre jeune homme !

— Pauvre jeune homme !… soupira Bertachou très ému par la voix musicale de la jeune fille.

— Oh ! oui, il est si malheureux…

— C’est peut-être par sa faute ! gronda Bertachou avec une sorte de ressentiment.

— Non pas, Lieutenant, c’est la mienne !

— La vôtre ?… Je ne comprends plus !

— Plus tard vous comprendrez. Pour l’instant, je désire vous demander un service… Je voudrais savoir si votre capitaine a fait ma commission. Et s’il l’a faite, le prier de me faire parvenir un message demain matin.

— Certainement, mademoiselle.

— Mais je veux être certaine que j’aurai ce message demain matin sans faute.

— Soyez certaine, mademoiselle, sans faute, foi de Bertachou !

Tout à coup Isabelle tressaillit et saisit avec force un bras du lieutenant, disant dans un souffle craintif :

— Silence. Voici Monsieur d’Altarez. Écartons-nous de son chemin. Tenez, là, dans ce pan d’ombre… venez !

Bertachou, avant d’obéir, se retourna. Il vit également venir un homme… mais un homme qui titubait comme un ivrogne. Il reconnut aussi d’Altarez.

Mais déjà Isabelle, pour ne pas être vue s’était élancée seule dans l’ombrage d’un bastion tout proche. Mais déjà aussi d’Altarez avait reconnu la jeune fille comme elle courait vers le bastion.

— Isabelle ! appela d’Altarez d’une voix méconnaissable.

Elle ne répondit pas, croyant qu’elle était invisible dans l’ombrage.

D’Altarez voulut courir à elle. Dans son élan il se heurta brusquement à Bertachou qu’il n’avait pas paru voir ni reconnaître.

— Ah ! c’est encore toi ! proféra le jeune homme d’une voix frémissante. Place ! ajouta-t-il.

— Pardon, Capitaine, on ne passe pas sans le mot d’ordre !

D’Altarez voulut passer outre et courir à Isabelle.

Bertachou le repoussa.

— On ne passe pas, j’ai dit ! D’Altarez fit entendre un rugissement et, bondissant, il se rua contre Bertachou qu’il saisit à la gorge.

— Ah ! sacrediable ! par exemple… hurla Bertachou à demi étranglé… est-ce que maintenant Bertachou va se laisser mordre par les jeunes tigres !

Il empoigna le jeune homme par les côtés avec tant de force que d’Altarez poussa une exclamation de douleur et lâcha prise. Oui, mais cela ne suffisait point ; car Ber-