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la belle de carillon

Il s’agenouilla près d’elle et murmura tout en essayant de ranimer la pauvre enfant :

— Mademoiselle, revenez à vous !… Bertachou vient de m’informer qu’il est encore venu… Et Bertachou craint qu’il ne vous tue ! J’accours à votre secours…

Et Valmont se penchait sur le visage de la jeune fille pour voir si elle l’entendait. Il vit ce visage si livide qu’il crut la jeune fille morte.

— Oh ! elle est morte… elle est morte ! gémit-il.

Il la prit dans ses bras et s’élança vers la porte du fort. On eût dit que ce contact ramenait Isabelle à la vie. De ses lèvres s’échappèrent ces paroles :

— Laissez-moi, je ne vous aime point ! Vous êtes un coquin !… Allez-vous-en ! Allez-vous-en !…

Tout à coup elle se débattit violemment dans les bras de Valmont.

Lui s’était arrêté, frappé au cœur par les paroles d’Isabelle. Un moment, il parut demeurer indécis. La jeune fille ne bougeait plus, et cette fois elle avait l’air bien morte.

Valmont la laissa choir sur le sol, pirouetta et comme un fou se mit à courir du côté de ses retranchements. Et, comme d’Altarez et à son tour, il sanglotait… Comme d’Altarez, il disait dans son désespoir :

— Demain, si on se bat, je veux me faire tuer !…

Et Isabelle, inanimée toujours, morte peut-être, demeura étendue sur le sol et dans la froidure de la nuit…

IX

LA DÉMENCE D’ISABELLE


Une heure s’écoula.

La porte du fort s’ouvrit tout à coup et plusieurs soldats, munis de torches résineuses, la franchirent avec une sorte de précipitation. La veuve du Commissaire Desprès, affolée, se tenait au milieu de ces hommes et elle se lamentait :

— Il lui est certainement arrivé malheur !… Oh ! Mon Dieu ! je l’avais pressenti !… Cherchez bien, mes amis, elle n’est peut-être pas loin. Une sentinelle l’a vue ce soir rôder autour des murs…

Les soldats marchaient en éclairant le sol de leurs torches.

Isabelle était tombée à deux cents verges environ de la porte du fort. Il ne fallut donc que quelques minutes aux soldats pour découvrir la jeune fille. Toujours inanimée, elle reposait sur le côté droit dans l’herbe humide de rosée. Mme Desprès se jeta sur elle en pleurant, croyant que sa fille était morte. Mais non, heureusement ; Isabelle était évanouie seulement, et peu après l’arrivée des soldats et de sa mère elle reprit connaissance.

— Oh ! maman, maman, murmura-t-elle avec joie et en attirant sa mère à elle pour l’embrasser avec effusion, je ne suis donc pas morte ! Dieu soit loué !

Elle se réjouissait de se retrouver vivante, elle était bien heureuse parce que, durant son évanouissement, elle avait eu un très beau songe. Elle avait revu Valmont, et lui l’avait prise dans ses bras, l’avait embrassée avec un amour passionné et il lui avait murmuré :

— Je t’aime, Isabelle… je t’aime de toutes les forces de mon âme !

Mais avait-elle rêvé réellement ? Oh ! comme elle aurait voulu être certaine que ça n’avait pas été un songe, mais une réalité !

Mme Desprès n’était pas moins heureuse que sa fille. Perdre celle-ci, c’était perdre ce qui lui restait de plus cher au monde. Dans l’infortune, le deuil et la pauvreté où elle se voyait depuis quelques jours non sans de terribles appréhensions pour l’avenir, elle sentait que sa fille était pour elle un appui comme une grande consolation.

Tout à fait ranimée par la fraîcheur de la nuit et vivifiée par la pensée que Valmont l’aimait, Isabelle put se lever. Peu après les deux femmes — la mère supportant la fille — et leur escorte rentrèrent dans le fort.

De suite Mme Desprès, qui se doutait bien que quelque chose d’anormal survenait dans l’existence de sa fille, voulut savoir ce qui lui était arrivé. Mais Isabelle se sentait trop brisée pour engager un entretien, et elle manifesta le désir de s’aller coucher.

— Demain, maman, je te dirai quelque chose… À présent j’ai besoin de repos !

Ce dont Isabelle avait surtout besoin, c’était de se retrouver seule et de repasser ses souvenirs. Elle avait hâte de vivre un moment avec l’image de Valmont, espérant