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la belle de carillon

pleurer. Il bredouilla dans un sanglot de joie :

— Oui, commandez, ma vie est à vous… Et il se sauva en repoussant la porte avec une certaine rudesse.

Isabelle tourna sur ses talons, vive et légère, courut à la porte du salon et l’ouvrit pour se précipiter vers sa mère, interdite, en criant :

— Maman ! Maman ! que Dieu soit béni !…

Elle se laissa tomber dans les bras de sa mère qu’elle se mit à embrasser avec une effusion telle, que Mme Desprès en était tout abasourdie.

XIII

LA BATAILLE


Mme Desprès s’endormit ce soir-là avec l’espoir que le capitaine Valmont viendrait avant longtemps lui demander la main de sa fille. Isabelle, après avoir confessé son amour, avait converti sa mère et réussi à en faire l’amie de Valmont. Elle avait promis à Mme Desprès que la calomnie se tairait. Elle l’avait assurée qu’on ne l’importunerait pas au sujet de la mort de d’Altarez. Mme Desprès avait donc retrouvé le calme de l’esprit, et, tout au fond d’elle-même, elle se réjouissait de rendre son estime à Valmont, puisque c’était une sorte de réparation de l’injustice qu’elle avait commise à l’égard du capitaine canadien.

Mais grande fut sa surprise et celle des officiers de l’armée quand, le lendemain matin, la nouvelle courut que le lieutenant Peyrolet avait disparu avec quelques-uns de ses subalternes de la garnison. On comprit qu’il avait déserté par crainte que son attentat contre d’Altarez ne fût cruellement châtié. Oh ! oui, c’était bien Peyrolet que Mme Desprès avait embauché pour assassiner Valmont, si on se rappelle cette nuit où la jeune veuve avait eu une conférence secrète avec le lieutenant. La fuite de Peyrolet rayait les soupçons qui avaient pesé sur Mme Desprès, et, par suite, l’affaire d’Altarez était oubliée. Et c’est Isabelle qui avait incité Peyrolet à se sauver, après lui avoir déclaré que le lendemain le général, connaissant son crime, le ferait exécuter sommairement. Peyrolet et ses complices avaient donc détalé avec la peur collée sur la nuque.

Isabelle, ce matin-là — 8 juillet — était en train de donner à sa mère des détails sur la désertion et la fuite de Peyrolet, quand, soudain, l’espace trembla sous le grondement de canons et le crépitement de fusils. Un bruit de bataille emplit l’atmosphère…

— Maman ! maman ! cria la jeune fille en se dressant, pâle et énervée, c’est la bataille.

Et, entraînant sa mère, elle gagna précipitamment la tour du fort afin de surveiller le commencement du combat. Mais Isabelle put constater de suite que ce n’était pas encore la véritable bataille, il n’y avait, d’engagés que les Canadiens du capitaine Valmont.

— Oh ! soupira Isabelle en levant les yeux au Ciel, pourvu qu’il ne lui arrive pas malheur !…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ce n’était encore qu’une escarmouche qui dura une heure. Une colonne anglaise avait tout à coup débouché des bois du Lac, et Valmont avait pensé que l’ennemi allait engager pour de bon la bataille. Pour permettre au général Montcalm de prendre ses dispositions, Valmont résolut de retarder la marche de cette colonne. Contre ses flancs il lança cent cinquante de ses hommes qu’il conduisit en personne. La colonne anglaise comptait six cents hommes au plus. On échangea de part et d’autre quelques coups de fusil, puis les Canadiens se ruèrent contre les Anglais pour les charger à la baïonnette. Il se produisit quelques prises de corps, mais les Anglais détalèrent vers le gros de leur armée. Aux coups de feu échangés une batterie anglaise tonna, lançant des projectiles qui se perdirent inutilement dans les abatis. Bref, l’affaire fut insignifiante et s’acheva sans beaucoup de dommages chez les deux adversaires : les Canadiens eurent trois blessés, et les Anglais une dizaine de blessés, mais quelques morts aussi dont on estima le nombre à 5 ou 6.

Les Canadiens n’osèrent pas s’engager plus avant dans la poursuite de la colonne ennemie, crainte de tomber dans quelque traquenard, et ils rentrèrent dans leurs retranchements.

On pensa que cette colonne anglaise