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LA MÉTISSE

timide, fidèle et noble qu’on met à toutes les besognes, servante qu’on regarde comme une traînée recueillie dans le fossé, Héraldine Lecours, après quelques mois passés, vécus auprès de deux petits enfants étrangers qui n’ont plus de mère, s’éprend d’un tel amour qu’elle en arrive à considérer ces deux petits étrangers comme ses enfants à elle ! Sa tendresse est une flamme sans cesse avivée, elle aime avec furie ces deux petits êtres qui, un jour, l’ont appelée, elle, « maman Didine » ! Quelle jouissance ineffable cette appellation a mise au cœur de la Métisse sans foyer ! Ce fut un délire dans son âme ! Un tressaillement de joie, inouïe l’agita ! Elle ne se sentait plus au fond d’elle-même une pauvre fille, seule, abandonnée, craintive ! En son âme elle sentait, grandir une force nouvelle, elle ressentait une sorte d’audace qui la relevait aux yeux de l’humanité, qui la haussait devant ses propres yeux ! Une puissance mystérieuse développait ses facultés, sa pensée prenait des envergures, son esprit découvrait dos horizons inconnus, et elle se sentait devenir femme ! Femme !… plus que cela : autour d’elle deux chérubins gambadaient, riaient, et lui disaient souvent sur un ton si gentil :

— Maman Didine…

Quel délice nouveau, inconnu ! Quelle sensation insoupçonnée dans cette âme vierge où le doux nom de mère s’épelle timidement et si suavement ! Mère !… Non, certes, Héraldine ne l’était pas au sens strict du mot. Mais par l’affinité entre sa nature et celle des enfants, par le lien invisible et solide qui s’était si mystérieusement tissé entre eux, par l’amour réciproque, par les caresses de tous les jours données et rendues, par les sourires de chaque instant, par les doux noms, exquises appellations, Héraldine avait senti frissonner en elle comme une maternité !

Et elle ne s’était pas défendue de ce sentiment, qui l’avait envahie peu à peu, à son insu, comme à la sourdine ; car ce sentiment nouveau, délicieux, avait de suite créé tout au fond de l’âme d’Héraldine un Paradis. Et dès lors, avec la conscience de cette maternité était venu le dévouement sans bornes, le sacrifice de tout, l’acceptation de toutes les souffrances, de toutes les humiliations, de toutes les ignominies, pour épargner aux chers petits la moindre peine, la moindre déception ! Quel prodige ! Dieu seul pouvait faire ce prodige qu’il avait voulu pour répondre à la prière sublime d’une mourante…

Or, à cette heure de détresse insondable, dans cet isolement profond, Héraldine Lecours souffrait dans sa maternité prodigieuse !


XVII


Mais si Dieu avait accompli un miracle, ce miracle ne pouvait demeurer incomplet, inachevé ! Héraldine ne cessait de supplier le Maître divin, lui demandant, le sommant presque de lui rendre ses deux petits !

Pauvres petits ! Oh ! si elle les avait vus… le lendemain de son départ et les jours qui avaient suivi !

Sur le moment, lorsque MacSon avait chassé sa servante, France et Joubert n’avaient pas très bien compris. Quittait-elle la ferme ? ou simplement la chambre ?…

Si jeunes, ils ne pouvaient raisonner cette chose si soudaine, si imprévue. Puis, la tempête étant survenue, Esther était montée trouver les petits pour calmer leurs frayeurs. Esther avait été très affectée par le départ de la Métisse qu’elle commençait à aimer. Par ce fait, elle perdait une alliée dans le projet de réconciliation, rêvé par elle, entre son père et François Lorrain. Ensuite, il allait peser sur ses épaules inexpertes une charge et une tâche auxquelles elle ne se sentait pas préparée : la surveillance et l’éducation de France et Joubert.

La tâche serait d’autant plus difficile, que les deux enfants, très affligés par le départ subit de celle qu’ils considéraient comme leur mère, apporteraient moins de docilité et d’application. Esther, de surcroît, manquait de l’outil le plus nécessaire : l’autorité. France et Joubert, en dépit de la différence d’âge entre eux et la fille de MacSon, n’avaient pour celle-ci qu’un sentiment fraternel. Un ordre d’Esther n’était pour eux qu’une sorte de bourrade à laquelle ils ne se croyaient pas tenus d’obéir : c’était leur sœur. Car ils ne pouvaient concevoir, dans leur petite imagination, que cette grande sœur qui, de tout temps, n’avait jamais paru avoir pour eux qu’une sorte d’indifférence dédaigneuse, pût à présent élever une voix autoritaire, édicter des commandements.

Le premier jour de l’absence d’Héraldine, Esther parvint, à force de cajoleries et avec la promesse répétée que la Métisse allait revenir bientôt, à calmer les pleurs des deux petits qui ne cessaient de murmurer plaintivement :

— Maman Didine…

Sur la fin de ce premier jour, néanmoins, ils finirent par se remettre à leurs jeux coutumiers, mais sans beaucoup d’entrain, leur habillement était morne, leurs rires rares, leurs sourires forcés et amers, chacun de leurs mouvements s’exécutait dolemment.

Le soir, à leur coucher, sans Héraldine pour leur faire dire leurs prières, sans les caresses si tendres, si passionnées, si maternelles de la Métisse, les deux enfants cachaient dans l’oreiller moelleux leurs deux petites têtes inquiètes et sombres. Et au matin suivant, dans les rayons de soleil qui emplissaient la petite chambre, la baignaient d’une onde vermeille et tiède, ils ne voyaient pas apparaître leur « maman Didine » avec son sourire caressant et ses grands yeux noirs très ardents sous leurs feux d’amour. Non… mais c’était la voix d’Esther qui, d’en bas, criait avec humeur :

— Descendez, les enfants… le gruau est servi !

Esther, à la fin mécontente de la besogne qui lui incombait, montrait peu de bienveillance aux caprices enfantins de France et Joubert qui, maintenant, devaient se débrouiller eux-mêmes et comme ils l’entendraient.

Comme avant, MacSon passait ses journées hors de la ferme et demeurait presque invisible, il ne s’occupait que juste des bestiaux, matin et soir, et semblait se soucier nullement de ce qui se passait à l’intérieur de son foyer.

Un matin, France interrogea Esther :