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LA MÉTISSE

Une heure plus tard, Héraldine comprit que les soins du médecin seraient nécessaires. Elle en prévint MacSon qui partit hâtivement pour le village.

Avec la route détrempée par la pluie torrentielle de la nuit précédente il fallut trois heures au fermier pour atteindre Bremner.

La première nouvelle pour l’Écossais, en arrivant au village, fut celle d’un homme inconnu qu’on avait ramassé sur la route, couvert de sang et de boue, mort depuis peu.

MacSon, à cette nouvelle, fut secoué par un pressentiment funèbre.

— Qu’a-t-on fait de cet homme ? demanda-t-il en essayant de donner à sa voix un ton d’indifférence.

— On l’a porté à l’hôtel.

Après avoir conduit ses chevaux à l’écurie publique, MacSon se rendit chez le médecin. Là, on lui apprit que ce dernier avait été appelé à l’hôtel auprès d’un inconnu qu’on avait tenté d’assassiner dans la nuit.

Troublé, inquiet, le fermier se dirigea vers l’hôtellerie s’efforçant de conserver le calme à sa physionomie. L’hôtel était rempli d’une foule de curieux qui jetèrent sur l’Écossais des regards singuliers. Sur le moment, MacSon n’y prit garde. Il alla droit au bar pour se faire servir une consommation. Là, des habitués bien connus du fermier firent mine de s’écarter sur son passage. Les conversations engagées s’étaient soudain arrêtées à son apparition, et MacSon, cette fois, aux regards qu’on détournait de lui, aux attitudes de ces gens, crut comprendre qu’on parlait de lui. Une sorte d’épouvante mystérieuse commença de lui serrer le cœur. Pour se donner du sang il se fit servir trois verres de whiskey, et avec cette liqueur le courage et l’audace lui revinrent.

Alors il s’informa de l’homme assassiné, auprès du commis d’hôtel qui, avec une sorte de répugnance bien visible, lui dit que le cadavre avait été enfermé dans une chambre en attendant l’arrivée de la police.

— Mais à quelle distance du village cet homme a-t-il été trouvé ?

— Ah ! ah ! Est-ce un cultivateur des environs ?

— C’est un étranger, parait-il, dont on n’a pu encore savoir le nom. Personne ici n’a été capable de l’identifier.

MacSon commanda un quatrième verre de whiskey et se mit à penser.

— Si cet homme, par hasard, est mon Suédois, comment se fait-il qu’il ai pu, blessé, faire un si long trajet ? Et comment se fait-il qu’il soit passé devant sa porte sans s’arrêter ?

Pendant plusieurs minutes MacSon s’efforça de trouver des motifs qui avaient guidé Hansen, et ne pouvant entrevoir aucune solution de ce mystère, il se dit avec un haussement d’épaules :

— Bah ! que m’importe après tout ! Le mieux pour moi c’est d’être prudent et de feindre la plus profonde ignorance.

MacSon sortit de l’hôtel pour aller à d’autres affaires et pour retourner ensuite chez le médecin.

Dans les rues du village l’Écossais s’aperçut encore que les gens de sa connaissance affectaient de ne pas le voir, et que des gamins ça et là le montraient du doigt.

— Allons ! se dit MacSon qui se sentait de l’aplomb sous l’influence de l’alcool, il faut bien peu de chose pour tourner la tête du monde : un homme assassiné !

Et il alla son chemin, indifférent en apparence, mais, au fond, très perplexe, et très inquiet.


XXX


Que s’était-il passé au juste, la nuit précédente, à la ferme de François Lorrain ?

Après avoir vu disparaître la lueur de la lanterne que portait Esther, François, tout songeur, était entré dans sa maison. C’est à ce moment seulement qu’il s’aperçut qu’il était tout trempé par la pluie. Et il se rappela que la fille de l’Écossais lui avait recommandé de se tenir sur ses gardes et de veiller.

Or, il avait entendu le bruit d’une voiture s’approchant, dans la direction de sa ferme. Ce n’était pas un fait extraordinaire qu’une voiture passât devant sa porte en pleine nuit. Mais il avait un sombre pressentiment après les avertissements qu’il venait de recevoir d’Esther. Et c’est sous l’empire de ce pressentiment que François décrocha du mur une arme à feu, une Remington dont il examina soigneusement le magasin. Puis il souffla la lampe et sortit dehors. Il n’avait pas cru utile de réveiller sa mère, afin de ne pas l’inquiéter pour un rien peut-être.

François était maître de lui, sans peur, mais très avide de savoir ce qui allait se passer. Comme la pluie tombait avec plus de force, il alla se poster dans la porte d’un hangar qui dominait la route. Il entendait plus distinctement le roulement de la voiture.

— Il attendit environ dix minutes.

La voiture s’arrêta, un bruit de voix parvint jusqu’à son oreille attentive. François devina que la voiture et ses occupants n’étaient pas à plus de deux ou trois arpents de sa ferme.

— Allons ! pensa-t-il, je crois qu’Esther n’était pas folle et que, décidément, quelqu’un m’en veut ! Et ce quelqu’un ne peut être que MacSon lui-même !

Un léger frisson l’agita. Qu’est-ce qu’on préméditait contre lui ? Il se le demanda avec un peu d’angoisse. Brave, François l’était ; mais, à cet instant, il se voyait en face d’ennemis qu’il ne connaissait pas au juste, et devant un danger dont il ne pouvait deviner la nature. Voulait-on l’assassiner ?… ou simplement causer des dommages quelconques à sa propriété ?… François était bien décidé de protéger sa vie comme sa propriété, mais la nuit très noire était pour lui un désavantage.

Quelques minutes encore se passèrent, puis un pas battant les flaques de boue attira son attention. Un homme s’approchait… Quel était cet homme ? François eût donné gros pour le savoir et le reconnaître. Et cet homme se rapprochait toujours, très lentement, comme s’il eût marché avec d’infinies précautions. À un moment le Français comprit que cet homme n’était pas éloigné de son poste d’observation. Il crut même que l’inconnu venait de pénétrer dans la cour… en effet, à vingt pas de lui tout au plus François Lorrain pensa voir une ombre se glisser à pas de loup du côté de la maison que cinquante verges environ séparaient de la route.